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[Rencontre] Michel Valmer. “Le théâtre n'est pas fait pour rassembler mais pour poser des questions"

Il est urgent de continuer à (se) poser des questions parce que c’est la fonction première du Théâtre. Michel Valmer et Françoise Thyrion ont créé la Cie Science 89 à Nantes pour “spectaculariser la science”. Penser. Que le débat serve à faire société et non à diviser. La discussion avec Michel Valmer, comédien, auteur, metteur en scène a été brève mais intense. L’homme est chaleureux, généreux, profondément humain et chacune de ses paroles est une mine d’idées. Chaque mot trace un chemin à explorer. Après 14 années passées à diriger la Salle Vasse, le duo qu’il forme avec Françoise Thyrion va continuer à créer et à réfléchir. “Il est urgent de (continuer à) vivre!” Bonne lecture

Françoise Thyrion et Michel Valmer par Phil Journé (C)

Bonjour Michel. Ca fait très plaisir de vous parler et que vous m'expliquiez pourquoi “il est urgent de vivre !”...


Bonjour Philippe ! C'est une profession de foi là, pour l'instant. C'est une phrase tirée, à peu près, du livre de Stéphane Pajot “Le Rêve armoricain” (Éditions D'Orbestier). Un polar qu'il a commis l'année dernière et qui, une fois de plus, nous propose une promenade à travers les bords de Loire, Nantes... et la rencontre avec des personnages historiques qui ont parfois vu le mauvais sort s'acharner sur eux. Par exemple, je pense au fameux Willy Wolf qui a plongé du Pont Transbordeur et qui n'en est pas ressorti, asphyxié par les fumigènes qu'il s'était installé autour du ventre... Il y a plein de choses comme ça. Avec Françoise Thyrion, pour essayer de revoir un peu tous les amis qui nous ont accompagnés pendant presque 15 ans dans cette Salle Vasse, on a décidé de faire un spectacle autour de ce livre. “Il est urgent de vivre” raconte bien ce qu'on a envie de faire, une espèce de renaissance.


On a décidé qu'on ferait peut-être un film... mais c'est un faux film ! Alors on fait passer des castings à tous les gens qu'on connaît. Le spectacle est une mise en scène de casting. Avec des comédiens, des acrobates, des cascadeurs... Par exemple celui qui va organiser une cascade c'est Alain Grellier. C'est lui qui avait doublé Johnny Hallyday dans « A tout casser » et qu'on retrouve dans “Les Rebelles” le film qui va sortir. Il y a des orchestres, celui de Jean-Philippe Vidal, Côte Ouest Big Band, il y a Etienne Boisdron qui va venir jouer de l'accordéon, il y a des chanteuses, des comédiennes, Jacques Guillou, l'ancien Directeur du Conservatoire de Nantes, va venir passer une audition lui aussi.


Et vous deux, on vous verra ?


Oui, moi je fais le réalisateur avec Françoise. Donc, c'est nous qui recevons tout le monde. Nous, on est finalement les Renaud-Barrault de la Ville de Nantes... Non ?


Tout à fait. Alors, 14 ans...


Oui ! 14 ans passés. On est passés de 4.000 spectateurs à 55.000. On aura travaillé pendant ces 14 ans avec près de 300 associations et groupes, sociétés, structures etc...


C'était une urgence de théâtre la Salle Vasse ?


Le théâtre est toujours une urgence et surtout maintenant. Parce que je ne sais pas si vous imaginez, mais, tout le travail qu'on a fait depuis qu'on est arrivés à Nantes et particulièrement Salle Vasse, s'organisait autour de la pensée. Et je suis en train de questionner le monde artistique aujourd'hui autour cette notion : où en est-on avec la pensée ? Ca me passionne. A quoi sert le théâtre ? Il est une loupe qu'on pose sur la société d'aujourd'hui et qui nous permet de mieux comprendre là on se trouve et on on veut aller. On écrit des récits, des fictions, des programmes... On essaie de se comprendre quoi.


Pendant 14 ans, vous avez essayé d'apporter votre pierre à l'édifice de la pensée.


Oui, modestement. Je pense que l'orgueil modeste est une vertu des comédiens. Il faut à la fois en vouloir mais à la fois se dire oui bon, où en est-on et remettre les choses en question et écouter les autres. C'est pour ça qu'au fronton du hall de Vasse, j'avais fait inscrire cette phrase de Antoine Vitez, mon cher maître : “mon corps est fait du bruit des autres”.


C'est très beau.


Oui, j'adore cette phrase.


Dans toutes les expériences que vous avez menées Salle Vasse, quelle est, quelles sont celles qui ont participé le plus à apporter de la pensée ou à faire penser les gens ?

Par exemple, au niveau des scolaires, mais pas seulement, le spectacle “Molière par elle même” qu'on joue encore et qui a été joué je ne sais combien de fois et qui se joue encore actuellement un peu partout dans le monde. Tout ça, c'est la salle Vasse. Les spectacles, je suis très fier d'avoir fait un spectacle autour de Cocteau, “je serais heureux de vous rendre service en me rendant service” c'est ce que je peux penser par rapport au public. C'est la phrase de Cocteau. Mais, faire venir Pierre Michon, c'était formidable. Faire tous ces débats qu'on a faits, aussi bien avec Benjamin Stora, avec Blanchard, Finkelkraut, avec Sophie Bessis sur l'immigration... Avec des savants, des philosophes comme Michel Vienne ou Michel Blay, entre autres, c'était quand même remuer la pensée. Jacques Ricot est venu ici nous parler de Bernanos, c'était formidable. Surtout tous ces publics qu'on a rencontrés. Celui de Valentin Haüy par exemple, aussi bien que celui des enfants qui travaillent avec le CREA qui viennent écouter Ravel. Le public complètement pointu quand on a travaillé sur la cervelle qu'on va fabriquer maintenant de manière électro-magnétique, quand on a travaillé avec le philosophe Dominique Pécaud là dessus, ce que j'appelle les cerveaux célibataires à venir, là on travaillait sur où est-ce qu'on va du point de vue de la pensée. C'était pour les étudiants ça. Sans compter tous les poètes qui sont passés là, alors là !... Toutes les revues de la région qui ont été lues, relues, et qui sont maintenant dans la bibliothèque qui vit dans le hall de la Salle Vasse.


Quels sont les lieux de la pensée aujourd'hui dans notre société?


C'est une bonne question. Peut-être pas là où ils sont annoncés. Encore que, pour être très honnête, la politique qui est menée par le gouvernement actuel en direction de l'école est à regarder de très près. C'est peut-être un des points positifs. Mais, pour le reste, j'ai un slogan dans ma vie : « pour se trouver, il faut savoir se perdre ». Donc, ne pas prendre les chemins qui existent, mais essayer d'en tracer de nouveaux. On laisse des senteurs, des traces... et puis on verra bien si ces traces permettent aux fleurs de pousser. Dans certains théâtres oui, mais dans le théâtre officiel, c'est difficile en ce moment. On vit une époque romaine quand même: du pain et des jeux. Non ?


Le théâtre est un art du risque...


Qu'on oblige à ne pas prendre. On oblige beaucoup les gens à ne pas prendre de risques. Le théâtre n'est pas fait pour rassembler au départ. Il est fait pour poser des questions, donc forcément il divise. Mais, il enclenche des dialogues, des conversations. C 'est dans ce sens-là qu'il faut comprendre le théâtre. Mais ça n'est pas un exercice facile.


De tous les projets auxquels vous avez pu contribuer directement, vous, justement, y-en a-t-il un qui serait emblématique de cette volonté de réunir par le débat ?


Le travail qu'on a fait avec Armand Gatti, c'était pas mal. C'est quelqu'un qui nous accompagne et qui continue de nous faire, à la fois rêver, c'est un grand poète, mais c'est quelqu'un aussi qui organisait sa pensée autour de réflexion. Oui, il faut toujours organiser le monde de demain. Est-ce qu'on va aller vers ce monde marchand, tel qu'il est en train de se sur-organiser, ou est-ce qu'on va repenser la place de l'humain à l'intérieur de la société ? Gatti il avait quelque chose comme ça. Quand on a fait “Chants de l'inconnu N°5”, c'était bien.


C'était quand ?


C'était en 2000. Année emblématique, symbolique sans doute. Et tout le travail qu'on a fait autour de Diderot. “Entretien d'un philosophe et la Maréchale de ***”, c'était passionnant.


Qu'est-ce que vous allez faire après ?


On va renaître. On va relire Hannah Arendt et penser que on ne va pas vers la mort, on vient de la vie. C'est de ce côté là qu'il faut réfléchir. Donc, il est urgent de vivre.


Science 89 disparaît, en laissant plein de beaux souvenirs, ou continue ?


On va continuer. Françoise veut travailler sur les femmes, les héroïnes du quotidien, moi je veux travailler sur la notion de démocratie : où en est-on avec cette notion aujourd'hui? Je suis très intéressé par Gorgias de Platon. La Rhétorique. Pourquoi est-ce que la pratique de la rhétorique de certains politiques de remporter des batailles à courte durée, d'ailleurs. Ca m'intéresse beaucoup.


C'est une question d'actualité.

"On voudrait revivre" de Léopoldine Hummel et Maxime Kerzanet

Ah oui ! C'est pour ça. Mais le travail théâtral a beaucoup à voir avec l'actualité. C'est ce que je disais, par exemple, je suis très fier aujourd'hui d'avoir donné à Maxime et à Léopoldine qui sont venus jouer ici, au tout début, le spectacle autour de Manset et qui a remporté sur Nantes un très très joli succès. Je viens d'apprendre qu'il est programmé en Avignon c'est formidable.


Il est magnifique...


Oui, mais, au départ ça n'était pas facile. Et maintenant, ça décolle. Des choses comme ça me font énormément plaisir


Qu'auriez-vous comme mot à dire à votre successeur qui va prendre les clés pour la saison prochaine?


C'est un danseur. Donc, on n'a pas la même écriture. Je voudrais qu'il réfléchisse. En russe, peindre et écrire, c'est le même mot. J'aimerais bien qu'il réfléchisse, qu'il médite là-dessus pour essayer de continuer ce dialogue qu'on avait entrepris avec nos voisins, ceux de la rue Colbert, mais pas seulement. Nos voisins qui venaient de tous les coins du globe, parce que si je peux me permettre cette expression, à partir de la Salle Vasse on est allés à Shanghai, au Mexique... C'est une scène internationale de Quartier Centre. Mais on n'a pas oublié pas non plus les gens tout près de nous. Gérard Hauray est venu exposer ici, Fabrice Azzolin, aussi, on a fait des travaux avec Quentin Faucompré... Des gens d'ici, c'était formidable.


Le théâtre comme une passerelle. Les lieux de vie de spectacles comme des passerelles


Oui, il y a cette idée de passer. Et de penser avec le corps. C'est ce que je dirais si j'avais à dire quelque chose à mon successeur. N'oublie pas de penser, même avec le corps. Parce qu'on n'apprend pas par cœur, on apprend par corps, et que si on ne fait que du corps il n'y a plus de pensée. Je dis tout ça, mais, surtout, c'est à lui de de prendre les choses en mains maintenant.


Merci (et bravo) à l’équipe de la Salle Vasse / Cie Science 89 et à Phil Journé pour les photos. Propos recueillis par #PG9





#Théâtre [Création] Lundi 4, Mardi 5 Mars, 20h30 Salle Vasse: “Il est urgent de vivre” de Michel Valmer d’après “Le Rêve Armoricain” de Stéphane Pajot https://www.facebook.com/events/149511339296411/














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