Itamar Borochov vient de sortir son 2ème album “Blue nights” chez Label Laborie Jazz. Il l’a présenté à l’Ermi'Jazz Festival le 25/09/2018 dernier au Studio de l'Ermitage, Paris XXème. Nous étions très nombreux dans la salle, beaucoup le découvrait, dont moi. Ce fut un coup de foudre absolu... Un concert fascinant qui était fort heureusement enregistré par OPEN JAZZ d'Alex Dutilh sur France Musique. Vous pouvez donc le réécouter ici:
Itamar Borochov, live au studio de l'Ermitage (25/09/2018)
A la suite de ce concert, nous nous étions promis de nous recontacter pour une interview... Vous allez pouvoir découvrir notre échange ci-après. Il est à l’image de sa musique: divin. Bonne lecture!
Bonjour Itamar. During the show and at the end of it, you talked a lot about questioning yourselves and the world. So, what I want to ask you is very simple: is Jazz (or music) the answer?
Bonjour Itamar. Tout au long du concert, vous avez parlé de se poser des questions sur soi-même et sur le monde. J'ai donc envie de poser une question simple : le Jazz (ou la musique) est-il la réponse ?
Bonjour Philippe. Well, I'm not sure I would exactly say that I'm about questioning myself. I do think the answer is to know that we don't know. The best way to learn and become wiser is to, you know, as they say, “keep an open mind”, and know that you don’t know. And to always search. I think I will use the word “search” more than “questioning” and even in playing music, and especially in playing jazz, because it's not certain, we improvise, we are always searching, “let’s see how this will pen out”, figure out a new way to play every night. So in that regard, in that analogy … jazz is definitely the answer because it’s music that gives you freedom within the form, which is very much what I'm about.
Bonjour Philippe. En fait, je ne suis pas sûr que je dirais précisément que je me pose des questions. Je pense vraiment que la réponse est d'avoir conscience qu'on ne sait pas. Le meilleur moyen d'apprendre et de devenir plus sage c'est, comme on dit, de garder l'esprit ouvert et de savoir qu'on ne sait pas. Et de chercher toujours. Je pense que j'utiliserai le terme “chercher” plutôt que “se poser des questions” et même quand on joue de la musique et spécialement du jazz parce que rien n’est figé, on improvise, on est toujours en train de chercher, d'observer comment les choses sortent, d'imaginer une nouvelle façon de jouer chaque soir. Donc, à cet égard, dans cette analogie, le Jazz est définitivement la réponse parce que c'est la musique qui te donne de la liberté dans la forme. Et c'est ce qui m'intéresse.
Is the audience part of the answer too (I mean playing in front of people listening to you like creating a time and space where anything is possible)?
Le public est-il une part de cette réponse aussi (je veux dire, le fait de jouer devant des personnes qui vous écoutent comme créant un espace où tout devient possible) ?
Hopefully yes. I definitely strive for unity. And unity is, you know, between us and the audience, the music unites us. And even between one person and themselves. To be able to unite with yourself. To be present is something that I strive for.
J'espère que oui. J'aspire vraiment à l'unité. Et l'unité est entre nous et le public, la musique nous unit. Et même entre une personne et elle-même. Se retrouver soi-même. Etre présent est ce à quoi j’aspire.
What is your mother question?
Quelle est votre question fondatrice ?
Well my friend, I'm thinking of a lot of things. In regards to the record and I was talking about on stage in Paris, I feel like the compositions on the record are a search of sorts. A search that is mainly about identity and bridging the gaps of a multi-dimensional identity. A bridge between cultures. That's the sort of stuff that I'm talking about on the liner notes of the record. So I guess the answer is what unites us. How are we all different and still the same ? What was then, you know, if we were all one people, back in the day, years and years ago, you know the original civilization, what was the music of that people ? Because I hear many similarities in the different cultures that I like so much. The feeling of the blues for instance, certain harmonic things, how is it all similar? And then I'm trying to play this music that is multi dimensional, meaning that what I really get off on is to have a tune that is a completely authentic in multiple disciplines at the same time. So Jazz fans will say yes, this is jazz, this is real jazz and I like it. And then, someone who is coming from the middle east will say, yes, this is middle eastern music, this is maqam this is real maqam... and I like It. And then someone maybe from West-Africa, maybe from South-America will say : yes this is clave based music, it has respect for the clave and I like it. And so on and so fourth. That's sort of the kind of stuff that I really like, and I want to have authenticity and respect for the lineage of all musical and cultural traditions in multiple disciplines. So it's a multidimensional music, I hope.
Eh bien, mon ami, je pense à beaucoup de choses. Au sujet du disque et un peu de ce dont j'ai parlé sur la scène. Je ressens les compositions du disque comme une quête d'une certaine manière. Une quête qui porte surtout sur l'identité et les ponts à bâtir sur les fossés d'une identité multidimensionnelle. Un pont entre les cultures. Donc je pense que la réponse est ce qui nous unit. Comment se fait-il que nous soyons tous différents et pourtant semblables? Qu'est ce qu'il y avait si on remonte le temps, il y a des années, nous n'étions qu'un seul et unique peuple, une civilisation d'origine, quelle était la musique de ce peuple ? Parce que j'entends parler des similitudes dans les différentes cultures qui me sont chères. La vibration du blues par exemple, certaines choses harmoniques, en quoi est-ce similaire ? Et puis, j'essaie de jouer cette musique qui est multi-dimensionnelle... ce que je veux dire c'est que je recherche c'est d'avoir un son complètement authentique dans plusieurs disciplines en même temps. Alors, les fans de Jazz vont dire : « ça c'est du jazz, du vrai jazz et j'aime ça ! »Et puis quelqu'un qui vient du Moyen-Orient va dire : « oui, ça, c’est de la musique du Moyen-Orient, c'est du makam, du makam authentique et j'aime ça ». Et puis quelqu'un d'Afrique de l'ouest ou peut-être d'Amérique du Sud va dire : « oui cette musique est basée sur le clave, elle le respecte et j'aime ça ». Et ainsi de suite... C'est le genre de trucs que j'aime vraiment et je veux avoir de l'authenticité et du respect pour toutes les racines dans la lignée des multiples disciplines musicales et culturelles. J'espère donc que c'est une musique multi-dimensionnelle.
Do you think there's a specific form of Jazz in the States? In Europe? In Israel?
Pensez-vous qu’il y ait une forme spécifique de Jazz aux Etats-Unis? En Europe? En Israël?
I assume. Jazz is black American music. It's traditional music, it's folkloric, highly developed, and so again with the search for authenticity, there was no question in my mind when I fell in love with this culture that I wanted to immerse myself in it. That's why I moved to New York when I was 22 years old. I've been living in NY for almost 12 years now, with the purpose of immersing myself in the culture. Now of course, over the years, a lot of people have been interested in Jazz in Israel, in Europe... all over the world. That connection to authenticity and to elders is important for me in any discipline of music. So this is why I went and studied with the masters: Barry Harris, that's my teacher and I had the privilege to play a little bit with the master Curtis Fuller… So that is important for me. And at the same token, because it's a very inclusive style, it encourages you to bring your own voice, my voice. It just so happens that I come from the middle east and I am very interested in different cultures. So there is no choice for me but to write the sort of music that I write. And at that point, I let it go. I have a tremendous amount of respect for jazz, and I will let other people name my music as they wish, and this goes back to the multidimensional aspect of music. I don't seek to control it or label it. In the famous words of Miles Davis : « I'll play it first and tell you what it is later ». So that's my answer.
Je suppose. Le Jazz est la musique des noirs américains. C'est de la musique traditionnelle, folklorique, très développée. Et, de nouveau, avec cette recherche de l’authenticité, il n’y a aucun doute pour moi, je suis tombé amoureux de cette culture et j’ai voulu m’y plonger. C’est la raison pour laquelle je suis allé vivre à New York quand j’avais 22 ans. Cela fait plus de 12 ans que j’y vis dans le but de m’immerger dans la culture. Maintenant, bien sûr, au fil des années, de très nombreuses personnes se sont intéressées au Jazz en Israël, en Europe... partout dans le monde. Ce lien avec l’authenticité et les aînés est important pour moi dans toutes les disciplines de la musique. C’est pourquoi je suis allé étudier avec les maîtres: Barry Harris, c’est mon professeur et j’ai eu le privilège de jouer un peu avec le maître Curtis Fuller... C'est donc important pour moi. Et en même temps, parce que c'est un style très inclusif, cela encourage à apporter sa propre voix, ma voix. Il se trouve juste que je viens du Moyen-Orient et que toutes les cultures m’intéressent énormément. Je n’ai donc pas d’autre choix que d’écrire le type de musique que j’écris. Et sur ce point, j’ai laisse faire. J’ai un immense respect pour le Jazz et je vais laisser aux autres le soin de nommer ma musique comme ils veulent et cela nous renvoie à l’aspect multi-dimensionnel de la musique. Je ne cherche pas à la contrôler ou à lui mettre une étiquette. Selon les mots fameux de Miles Davis: “je vais jouer d’abord et je vous dirai ce que c’est après”. Voilà ma réponse.
When do you compose music?
Quand composez-vous?
All the time. I always compose, I always have ideas. Whenever they come to me I play them. Rush to the piano and start playing or jot something down, sometimes record myself. It's a continuous process for me.
Tout le temps. Je compose toujours, j'ai toujours des idées. Quand elles me viennent, je les joue. Je file au piano et je commence à jouer ou je note quelque chose, parfois je m'enregistre. C'est un processus continu.
Because of “the garden dog sleeping”... then I might think of the night as a particular moment? (in reference to a track in the album “Blue Nights”)
Parce que si le chien du jardin dort, c’est que la nuit doit avoir une place particulière dans votre écriture... (en référence à un des titres de l’album “Blue Nights”)
I write at night, but also write during the day. I write at all 24 hours a day.
J'écris la nuit mais j’écris aussi dans la journée. J'écris 24h sur 24.
Why did you choose the trumpet?
Pourquoi avoir choisi la trompette?
I started on violin first, and then classical piano, and then blues guitar. I was in a rock band with my brother and another friend and I was playing guitar. My brother was playing drums at the time and the third guy, our friend, was singing and playing saxophone. So I wanted to pick up the trumpet as a secondary instrument so I can play horn lines with the saxophone, that was my original intention. And then I just fell in love with it and… to be honest, it's not even that I fell in love with it, it just demanded all my attention. The trumpet is not the kind of instrument that you can just pick up and play a little bit. It's extremely demanding physically. You have to practice everyday and if you don't practice for years, you sound terrible. So it takes a very long time until you start sounding good and not sounding sad. And I was hooked. So that's how I got into the trumpet.
J'ai commencé par le violon, puis le piano classique et ensuite de la guitare blues. J'étais dans un groupe de rock avec mon frère et un autre ami, je jouais de la guitare. Mon frère était à la batterie à cette époque et le 3ème gars, notre ami, chantait et jouait du saxophone. J’ai voulu me mettre à la trompette comme instrument secondaire pour me permettre de jouer les parties de cuivres avec le saxophone, c’était mon intention première. Et puis je suis tombé amoureux de la trompette, et, pour être honnête, ce n'est même pas que j’en suis tombé amoureux, elle a tout simplement accaparé toute mon attention. La trompette n'est pas le genre d'instrument qu'on se contente d’attraper pour jouer un peu. C'est extrêmement exigeant physiquement. Il faut pratiquer tous les jours et si on ne le fait pas pendant des années, on sort des sons affreux. Cela prend très longtemps avant de commencer à avoir un bon son et pas un son minable. Et je suis devenu accro. C'est donc comme ça que je suis venu à la trompette...
How do you manage to keep your authenticity and freedom while recording since you know the sound is going to be forever?
Comment réussissez-vous à garder votre authenticité et votre liberté quand vous enregistrez puisque vous savez que le son sera éternel?
I think in essence the three have a common root, meaning authenticity, freedom and the idea of ‘forever’. And that root is in the present moment, so the only thing that is ‘forever’ is right now. It is the present moment. One moment is all moments. Wayne Shorter said that “one moment equals eternity”. So I assume the greatest thing that I can do is to be in the moment, really be in the moment and being in the moment means being in time and in place. That is true authenticity, this is really who I am, really what I'm feeling, really what I'm hearing in my head, and to be as authentic as one can be, that is liberating.
Je pense, par essence, que les trois ont une racine commune: l'authenticité, la liberté et l'idée d'éternité. Et cette racine, c'est le moment présent. De telle sorte que la seule chose qui soit éternelle c'est maintenant. Le moment présent. Un moment est tous les moments. Wayne Shorter dit que “un moment équivaut à l'éternité”. Je suppose donc que la meilleure des choses que je puisse faire est d'être dans le moment, être réellement dans le moment cela veut dire être dans le temps et l'endroit. C'est l'authenticité vraie, c'est vraiment qui je suis, vraiment ce que je ressens, vraiment ce que j'entends dans ma tête. Etre aussi authentique que possible. C'est libérateur.
Propos recueillis par #PG9 - Merci à Guillaume Leuillet, Jean-Michel Martin et Allison Mareeek pour leur aide quant à la retranscription/ traduction et à Jean-Michel Leygonie de Label Laborie Jazz pour la mise en contact
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