Slameuse/ Slameur: Treize accordée
Equipe de: Paris
Pourquoi Slamez-vous?
Enquête auprès des slameurs sélectionnés pour la Coupe de la Ligue Slam de France 2019 www.ligueslamdefrance.fr
Bonjour Flo ! Comment as-tu rencontré le slam ?
Bonjour Philippe ! En fait, je cherchais une solution car j'avais toujours écrit pour moi et à un moment ça s'était bloqué, je n'y arrivais plus du tout. Je cherchais un moyen de pouvoir retrouver ça et en regardant sur internet j'ai vu une scène ouverte de slam dans les événements sur Paris. J'y ai été et j'ai trouvé ça super.
Ta démarche est super intéressante... Tu t'es dit que ça allait donner un coup de boost à ton écriture ?
En fait je me suis dit, là c'est un format de gens qui écrivent des trucs, donc peut-être que ça peut me permettre de retrouver mon mécanisme perso. Qui était surtout un truc fonctionnel, tu vois il y a des personnes elles pleurent un coup et ça va mieux après, ou elles vont faire du sport pour canaliser, moi à ce moment j’avais surtout ça avec l'écriture et c'était bloqué. C'était pas un moment facile à vivre et je pensais que c’était important de retrouver cette fonction-là. Oui je me suis dit un peu ça, ce sont des gens qui écrivent ça peut me stimuler.
Tu écrivais depuis longtemps avant ?
Oui.
Depuis toujours on va dire ?
Oui. J'écrivais plein de trucs sous plein de formes. Par exemple, j'envoyais pas mal de cartes postales étant plus petite !
C'est à dire des textes très courts?
Non, des vraies cartes postales! C’est surtout que passer par l'écrit était plus facile que par l'oral pour plein de choses. Je pouvais écrire des lettres à des potes que je voyais au quotidien, c’était en plus... Je le fais encore aujourd’hui.
Tu aimes bien dire les choses par l'écrit ?
Il y a des choses que je ne sais pas dire à l'oral, alors qu’à l'écrit je sais.
C'est très très joli. Et donc par rapport aux textes de slam, quand tu es rentrée dans le bar, tu te souviens un peu de ce que tu as ressenti...?
Je me souviens super bien. J'étais un peu émerveillée et en même temps je me sentais perdue. J'étais venue seule en plus, je ne sais pas pourquoi. Je m'étais fait la démarche toute seule. J'étais à la fois dans le plaisir d'être tranquille pour bien regarder et en même temps je me sentais un peu à côté de la plaque. Et puis, j'ai discuté pendant la pause avec celle qui va nous coacher à Valence, Saba. Elle m’a accueillie dans le slam avec un gros bienvenu quand je lui ai dit que c'était la première fois que je venais à une scène ouverte. C'était ça son message, tout simple, tout sourire, elle m’a ouvert la porte en grand. J'étais à la Scène du Canal du 129H, un collectif qui anime des scènes ouvertes depuis un paquet de temps.
Donc à la pause du coup tu es rentrée dans la famille. Avais-tu slamé ce jour-là ?
Non. J'ai mis un temps.
Tu as mis du temps à produire un texte qui soit adapté à la scène ?
Non, en fait, j'ai mis un petit temps à avoir envie de dire sur scène. Au début, j'étais très contente de venir écouter.
Comme tu dis, le fait de se changer les idées, faire une course, un footing, ça a marché..
Oui, j'ai réécrit, c'est revenu. Dans la foulée j’ai été à un atelier d'écriture qui s'est fait dans un petit village des Hautes Pyrénées chez Manoell, une super auteure, grosse expérience qui m'a mis le feu. Et après pour slamer, c'est encore autre chose parce qu'on dit sur scène ce qu'on a écrit et ça c'était une découverte.
Ce que tu as écrit est-ce que ça a évolué ? Est-ce que ça a pris une tournure, une forme un peu différente, pour anticiper le fait que tu allais sans doute les dire un jour?
Non, le timing plutôt. Juste le format de durée parce que de toutes façons j'écrivais plein de trucs différents. Je crois que les trucs que je me suis mise à dire au slam c'était les textes que j'écrivais plus à l'oral, c'est à dire des choses que j'écrivais déjà en les entendant sonner dans ma tête.
Tous ces textes, tu en faisais quelque chose de précis autre que d'envoyer des cartes postales à tes amis ?
Pas du tout c'est un doc sur l'ordi ou des papiers dans les coins et je n'y revenais pas.
C'est vraiment pour le plaisir quoi.
Parfois presque c'était par besoin. Ça pouvait être un truc de dé-stress, un outil, sortir dehors ce qu'il y a en trop dedans.
Comme un cahier intime ?
Depuis, j'ai relu ce que j'écrivais à ce moment-là. En fait ça ne s'approche pas trop de ça parce qu’il y a de tout : parfois des petits récits, comme de la fiction, pas du tout mon histoire, dans d’autres trucs. Mes problématiques sont le fil et il y a d’autres choses c'est le plaisir de faire passer une émotion dans des mots. C’est assez diversifié le bazar qu'il y a là-dedans.
Que fais-tu dans la vie si ça n'est pas indiscret ?
Je suis dans la fonction publique hospitalière et je fais un taf administratif.
Donc, ça n'a pas de rapport...
Non, ça n'a pas vraiment de rapport.
Te souviens-tu du premier texte que tu as slamé du coup ?
Oui, je m'en souviens super bien. En fait, il y a eu un moment où j'ai commencé à avoir envie de dire mais j'avais la trouille de chez trouille. Alors un jour je me suis dis “emmène avec toi un truc que tu as, tu ne vas pas forcément le dire mais tu le prends dans ton sac” puisqu’à chaque fois je me retrouvais sur le lieu avec un peu l'envie et de toutes façons pas de texte. Et ce soir-là j'étais à la bourre, pas le temps de prendre le temps de choisir, j'ai imprimé un texte en vitesse et pour moi la première prise de parole en public ce soir-là est passée par un texte à propos d’un viol que j'avais vécu. Le premier truc que j'ai dit, c'est ça en fait. Avec le recul je me dis, tiens il y avait une petite envie souterraine d'ouvrir ma bouche sur certains sujets… Quelques mois plus tard commençait #metoo.
Tu n'avais pas choisi un texte facile...
Oui, c'est sûr que ça m'a moi-même questionnée, parce que vu le niveau de trouille, c'est pas le truc le plus simple à porter. Je pense que ma volonté de prendre la parole à cet endroit était super forte et que ça m'a portée.
C'est magnifique... Comment le texte a-t-il été perçu? Tu as échangé avec des gens après?
Non, pas trop. Je fuyais un peu les contacts au début. Je n'étais pas super à l'aise. Je l'ai dit, j'ai été super applaudie car les premiers passages sont signalés, donc les personnes sont dans le soutien, attentives, se disent “tiens, il y a quelqu'un qui se lance”... Mais moi, pour arriver à dire, je faisais un peu abstraction qu'il y avait des gens qui m'écoutaient, je me mettais dans une bulle. Lorsque j’ai remercié Neobled, un des animateurs, qui me remettait le papier du verre offert pour le texte dit, il m’a répondu “non, merci à toi”. Je m’en souviens bien du sens, de la fierté que ça m’a fait d’avoir partagé ce petit morceau de moi.
C'était il y a combien de temps ?
Il y a 3 ans à peu près.
Depuis, tu fréquentes régulièrement cette scène-là, d'autres scènes aussi ?
Pas celle-là parce qu'elle s'est arrêtée, celle du 129H est au Lou Pascalou, un bar à Paris. Il y a la scène hebdomadaire “Slam au Babel” animée par Madatao et L’Azraël, à Paris aussi. Je vais ponctuellement à d'autres scènes slam du collectif Kidikwa, de QDCF, ou des open mic hip-hop, des jams. C’est différent quand on sort du slam parisien, j’ai été dans des soirées portées par Edgar Sekloka et des super musiciens, au Tamanoir à Genevilliers et dans une MJC à Fresnes. J’ai besoin de sortir de l’intra-muros pour respirer, c'est bon de quitter Paris ! J’ai aussi été à la scène des Rimes croisées à Beauvais, au festival du Grand Micro de Bois à Aubagne l’été dernier.
Quand tu sais que tu vas aller à une scène slam est-ce que tu écris un texte pour ? Est-ce que ça a changé dans le fait de monter sur scène pour le dire ?
Les endroits où j'ai des habitudes parce que je connais l'endroit, ça va être plus facile de dire parce qu’en fait j'ai un handicap et il y a des choses qui fonctionnent un peu différemment pour moi. Par exemple, je connais bien le principe des scènes slams, j’ai acquis les connaissances pour tout le fonctionnement, mais aller dans un endroit que je ne connais pas, même si c’est familier, constitue toujours tout un effort. Je dirais un peu comme quand quelqu’un voyage à l’étranger. Donc j'ai besoin d’un temps pour repérer des objets, des personnes, je me fais comme un petit dessin du lieu dans ma tête pour me créer des repères, savoir et comprendre comment être. Ça je le fais tout le temps, ça n'est pas propre au slam ce petit mécanisme, je dois toujours faire ça pour circuler en société, tout particulièrement si je suis exposée comme quand on prend la parole.
D'accord. C'est très très beau comment tu parles de tout ça. Ça t'a apporté beaucoup ?
Oui, beaucoup. Ça m'apporte un truc que je n'avais pas trouvé ailleurs, qui est que quand je dis mon texte, j'ai un temps en public où je choisis d'ouvrir une fenêtre sur un morceau de moi qui n'est visible nulle part ailleurs, dans aucune autre interaction humaine. Et ce truc-là, il est super important parce que ça rend visible quelque chose qui n'est l'est pas. Déjà, je pense que ça me fait du bien parce que c’est un espace où on attend moins des autres qu’ils lissent ce qu’ils sont, au contraire c’est de l’expression, les attentes sociétales et les normes y pèsent un peu moins lourd. Et aussi c’est important par rapport à mes croyances. Je crois que quand il y a des choses qui agissent en dessous, invisibles, c'est moins sain, alors que quand les énergies circulent, l’espace s’ouvre.
Tu pousses le ciel ?
Non pas forcément. Le ciel... Mais déjà quand ça circule, ça respire mieux que quand c'est stocké.
Un grand merci à la Ligue Slam de France, à toute l’équipe de Paris, notamment bien sûr à Treize accordée... Propos recueillis par #PG9
Comments