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[Pourquoi Slamez-vous?] Coupe de la Ligue Slam 2019: Saba, Paris

Slameuse/ Slameur: Saba (co-coach)

Equipe de: Paris


Saba. Photo: Mady Madshadow (c)


Pourquoi Slamez-vous?

Enquête auprès des slameurs sélectionnés pour la Coupe de la Ligue Slam de France 2019 www.ligueslamdefrance.fr



Bonjour Saba. Comment as-tu rencontré le slam ?


Bonjour Philippe. En fait, j'étais capoeiriste, j'arrivais du Sénégal. Je me suis inscrite dans un groupe à Paris et puis, je me suis liée d'amitié avec un capœriste qui faisait aussi du slam, du coup j’avais demandé à aller le voir sur scène... mais lui ne voulait pas. Un jour, j'ai débarqué comme ça sur la scène avec une amie, c'était au DownTown à Paris. Je n'avais jamais vu de slam avant. Quand j’ai vu tous ces gens se livrer, je me suis mise à pleurer. Paris est quand même une ville assez froide, où les gens sont dans leur bulle, j'arrivais du Sénégal et je n'avais pas l'habitude de cette distance. Ca me manquait les rapports de proximité avec les gens, se parler... et là, d’un coup, voir ces mêmes gens que je voyais faire la gueule dans le métro s'ouvrir et dire des belles choses, se donner, se livrer, échanger… Ca m'a vraiment émue. J'y suis retournée plusieurs fois et à chaque fois j’étais bouleversée. A la 4ème ou 5ème fois, je suis allée voir Jean Louis, le serveur que j’aimais beaucoup, je lui dis à quel point ça me donnait envie d'écrire. Il m'a dit: “bah écris !”. Et j'ai fait: “bah non je ne peux pas, je ne sais pas le faire”. Il m'a regardé: “essaie, tu verras bien, ça ne coûte rien”. A l'époque, je travaillais à Trappes, j'avais 4 heures de trajet par jour. Dans le train, j’ai posé la plume sur un cahier… et j'ai écrit 12 textes dans la foulée.


Tu as écrit dans les transports, dans le RER ?


Saba. Photo: Roland Lagoutte (c)

J'écrivais tout le temps dans les transports pour aller travailler parce que j'avais beaucoup beaucoup de train. A partir du moment où j'avais fini mon boulot, je prenais un stylo...


Mais alors ça veut dire que l'envie d'écrire couvait en toi ?


Oui. C'est sûr. Petite, je lisais déjà énormément, je m'enfermais dans les toilettes la nuit pour lire... et j'ai dû écrire mon premier texte à 17 ans. J'écrivais quand j'avais des émotions qui débordaient, mais je n'avais jamais mis de mots dessus ni une pratique en particulier. Je le faisais instinctivement et puis voilà c'est tout....


Au Sénégal, tu disais déjà des choses... ?


Non, au Sénégal, je n'ai jamais fait de poésie. Par contre, j'ai baigné dans la culture de l'oralité parce que là-bas, il y a les griots, l’art de raconter les histoires ancestrales... C'est un endroit où l'oralité est importante et prégnante dans la culture, mais moi, non, je ne l'avais jamais fait. Ce n’est que par la suite, après avoir commencé à Paris que j’ai rencontré un super collectif de poètes là-bas. Je me suis rendue compte que j'avais beaucoup de choses à dire et ça s'est fait complètement tout seul. J'avais un puits d'inspiration au fond de moi, c'est venu avec une facilité déconcertante. Ca m'a beaucoup étonnée. Même de dire le texte… J'avais une vraie facilité, je me sentais à l'aise, je n'avais pas peur, j'en avais besoin. Je me sentais à ma place. Tout s'est fait instinctivement en fait.


Tu écris sur quoi? Qu'est-ce qui t'inspire ?


Soit c'est du vécu, soit des positions politiques. En gros, soit je parle d'histoires de vie, je ne sais pas, ça peut être n'importe quoi l'amour, la famille, les copains... ou la France-Afrique, les migrants... J'écris sur ce qui me touche en gros, vraiment. J'écris peu de fiction.


Tu n'es pas dans l'histoire au sens romanesque?...

Saba. Photo: Kidikwa (c)

J'écris des histoires, mais ce sont des vraies histoires. Par exemple, j'ai un texte qui raconte l'histoire de Kunta Kinte. Je le raconte comme on pourrait raconter un conte, à la manière d'un griot. L'objectif, c'est de vulgariser quelque chose qui est peut être compliqué, et peu connu du grand public. Mon texte sur la France Afrique, c'est pareil, je vais essayer de vulgariser de l’information. Le livre “Racine” d’Alex Haley sur Kunta Kinté, fait 700 pages. Je pense que peu de gens l'ont lu. Soit on ne le connaît pas, soit on en a une image erronée. Du coup, je l'ai lu deux fois pour le vulgariser le mieux possible et restituer sa poésie dans un format court. Mon texte fait 6mn.


Format double slam...


Exactement. Ou alors je suis partie en Ethiopie, je suis d'origine éthiopienne. C'est un voyage qui m'a complètement bouleversée, et pareil, là-bas, j'ai écrit. Dès que le cœur déborde, j'écris.


Tu continues à écrire dans les transports aujourd’hui?


Non. Je n'écris plus dans les transports parce que déjà je n'ai plus de transports ! Maintenant, j'habite à Lyon, je n'ai plus de train pour aller au boulot et puis, j'ai un bébé, donc j'écris aussi un peu moins parce que j'ai moins de temps. Mais, pareil, j'écris toujours quand ça déborde. Je vais griffonner des trucs dès que j'ai des élans, des émotions, des machins, je griffonne et quand j'ai le temps je me replonge dessus pour écrire le texte. Quand j'ai commencé, c'était en 2011, je m'obligeais à faire de la rime... Aujourd’hui, je suis beaucoup plus exigeante avec ce que j'écris. Je ne veux pas que ce soit de la rime pour de la rime, je veux être juste et poétique à la fois. Je mets donc beaucoup plus de temps à écrire.


Tu as plus d'exigence sur le propos lui-même?

Saba. Photo: Mady Madshadow (c)

J'ai surtout plus d'exigence sur la manière d'écrire. Avec le temps, tu entends beaucoup de chose et je ne veux pas tomber dans la facilité de la rime. Je suis donc un peu plus dure quand j'écris quelque chose, je mets un peu plus de temps, je ne me satisfais plus aussi facilement qu’avant.


Est-ce que tu as une activité artistique autre ?


Je suis maman, c’est tout un art! Je fais de la capoeira aussi de temps en temps, mais sinon non. Après je suis rédactrice de métier dans l’humanitaire... J'écris des campagnes de sensibilisation et de communication pour des ONGs.


Tu es beaucoup dans l'affectif, au sens large?...


C'est plus le sens que l'affect. Des projets qui ont du sens. J'aime bien mettre mes mots au service du sens. Mais, bien sûr, ce sont des choses qui me touchent, c'est une évidence.


Tu fréquentes encore beaucoup la scène slam ?


Je fréquente beaucoup les scènes slam parisienne et nationale. Parisienne, parce que c'est là où j'ai fait mes premiers pas et parce que depuis quelques années on a fondé le collectif Kidikwa avec Madatao et toute l'équipe. Comme je travaille sur Paris, j'y suis encore très souvent, on est très soudés. Et puis en national ou ailleurs, quand on m'appelle j’y vais avec plaisir aussi… Je suis allée à Genève récemment, à Valence, pour coacher l'équipe de Paris, à Beauvais la semaine dernière avec Neobled et plein d’artistes de talents pour un concert événement. A Lyon, moins, pour une question de planning. Les lyonnais font leur scène mardi et je suis à Paris pour le travail ce jour là, donc je pratique moins sur Lyon.


Saba. Photo: Roland Lagoutte (c)

Parce que la scène de Lyon est très active...


C'est une superbe scène gérée par le collectif du “Cercle des poètes à la rue”, avec un super niveau et beaucoup de diversité. Il y a 200 personnes le mardi, après c'est mensuel, donc ils remplissent vraiment. Parfois il n'y a même plus de place. Ca bouge bien, il y a une bonne ambiance.


Qu'est-ce que tu aurais envie de faire de tes mots ?


Continuer comme ça ça me va bien, je n'ai pas de projet professionnel derrière. Parcourir les scènes, voyager, faire ateliers avec des jeunes, des projets avec des musiciens, participer à des créations collectives. Je suis en train d'écrire avec d'autres poètes un genre d'opéra slam... Ce qui me plaît c’est partager. Travailler en collectif j'adore ça, créer ensemble, continuer à avoir une parole utile qui serve à délivrer des messages qui ont du sens.


Et c'est vraiment pour le plaisir en fait.


Le plaisir, parce que j'aime ça, mais aussi la nécessité. J'aime dire des textes, j'aime écrire et dire. Ca me fait du bien. Mais la nécessité aussi. Dire des choses importantes, intéressantes, délivrer un message qui a du sens. C'est important vu le brouhaha dans lequel baigne notre société.


Quelques mots sur le magnifique projet “Voix de femmes”?...


C'est un projet de Gaëlle Rauche, une poétesse de Reims, que j'ai rencontrée sur des compétitions nationales. Elle a souhaité réunir des poétesses de France et du monde entier, autour du guimmick: “je suis femme poète”. A partir de cette phrase, chacune devait partager une minute de texte. Elle en a fait un documentaire qui a parcouru quelques pays du monde, qui a donné envie d'écrire à plein de gens. Avec Nanda, du collectif Kidikwa elle aussi, nous avons eu la chance d'être invitée par Gaëlle à Genève au siège de l'ONU pour défendre ce projet. Nous avons fait une représentation de 15 minutes autour du docu. C'était super de partager ça avec elles: Gaëlle est vraiment une super poétesse, elle est aussi très douée dans la mise en scène. Nanda et elles sont 2 femmes avec une vraie puissance. C’était une expérience très riche. On est passées entre Fatoumata Diawara et Souad Massi, c'était énorme quoi. Le projet continue à vivre, à se promener… Gaëlle invite de nouvelles poétesses à présenter le projet au fil des événements. C’est une très belle aventure…


Tu parlais d'un opéra slam, ce sont des choses qui te motivent à aller plus loin dans l'écriture?

“Le procès de Katarina Rey” Photo: Hashka/ÿz (www.hashka.fr)

Oui. C'est ce que j'aime le plus. Avec Kidikwa, on avait créé un truc du même type qui s'appelait “Le procès de Katarina Rey”, entre théâtre et slam. J'ai appelé ça “opéra slam” mais c'est à la fois du théâtre et du slam en fait. Là, c'était un procès où on devait juger une femme sur la base d’une histoire complètement fictive. On était séparés entre ange ou démon, chacun faisait un plaidoyer pour condamner ou gracier une femme, Katarina Rey qui avait abandonné ses 2 enfants. Le public était jury et décidait de la sentence finale. C'est un spectacle de 45 mn qu'on a monté tous ensemble. J'ai adoré. Là, c'est un peu pareil, sauf que c'est plus centré sur l'histoire de l'Afrique, la vraie histoire de l'Afrique j’entends. Donc là il y a un gros boulot d’aller fouiller dans les archives, dépoussiérer des lieux communs, trouver de vraies informations, remettre les choses à leur place… Ca me plaît beaucoup parce que c'est encore une fois l'art et le sens ensemble. L'Art au service du sens.


Il y a une échéance ?


Non, là on est en pleine création et on ne se donne pas de délai, quand on a commencé, j'étais enceinte, il y en a qui ont voyagé entre temps. On est en pleine créa, ça avance doucement mais sûrement... La suite bientôt !


Un grand merci à la Ligue Slam de France, à toute l’équipe de Paris, notamment bien sûr à Saba... Propos recueillis par #PG9


Saba. Photo: Clotilde Pénet (c)

Tous les portraits sont regroupés ici:




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