Slameuse/ Slameur: Julia aux mains qui dansent
Equipe de: Tours
Pourquoi Slamez-vous?
Enquête auprès des slameurs sélectionnés pour la Coupe de la Ligue Slam de France 2019 www.ligueslamdefrance.fr
Enchanté Julia. D'abord bravo pour samedi ! Parce que tu es donc la première slameuse à qui je parle après son round. C'était très joli et très particulier mais justement on va en parler. 1ère question: comment as-tu rencontré le slam stp...
Enchantée Philippe. Merci beaucoup. J'ai rencontré le slam au mois de septembre cette année, je suis allée pour la première fois à la scène slam à Arcade Institute à Tours. Je savais que cette scène mensuelle existait depuis un certain temps, mais je n'avais jamais osé pousser la porte. Du coup, j'y suis allée en septembre en tant que spectatrice uniquement, pour écouter et regarder, et j'ai pris la décision, en sortant, d’y retourner en octobre avec un texte.
Ah c'est cool ! Donc, si ça te titillait c'est que tu écrivais déjà?
J'écrivais il y a très longtemps, j'écrivais beaucoup quand j'étais plus jeune, mais en septembre, ça faisait une quinzaine d'années que je n’avais quasiment pas écrit en français, même si j'en avais très envie. Je n'y arrivais plus. Du coup, je me suis dit en allant à cette scène que c'était le bon moment de m’y remettre et qu’une fois par mois, c'était le bon rythme pour reprendre. Le rythme parfait pour me motiver à réécrire de nouvelles choses!
Les choses sont allées un peu plus vite et un peu plus loin que ce que tu attendais, puisque tu te retrouves qualifiée !
C'est ça ! Complètement ça... Mais que se passe-t-il? Assez rapidement, j'ai fait des rencontres très agréables avec plein de personnes, j’ai eu de très jolis retours, tout s’est enchaîné à une vitesse folle et du coup il y a eu les scènes de sélection pour la coupe en mars, et avant ça, celle pour le Slamenco en février.
Et bien dis donc c'était une rentrée intensive !
Oui ! Je n'ai pas trop compris ce qui m'arrivait. Je ne comprends toujours pas trop d'ailleurs. Alors je me laisse porter par le flot (flow!)...
Et c'est agréable de se laisser porter par ce flot-là ?
Oui, c'est très agréable. Après, les sélections, les tournois, c'est autre chose. C’est parfois plus complexe pour moi. Mais se laisser porter par les scènes mensuelles et par les personnes qu'on y rencontre, les mots qui fusent, les textes qu'on entend, les âmes qu'on découvre, cette bulle de poésie où le temps s’arrête, oui, c'est extrêmement agréable. C'est tout un univers qui moi me transporte et où je me sens extrêmement bien.
Du coup, ça t'aide à écrire de nouvelles choses ?
Tout à fait! Le fait de savoir que tous les mois, des oreilles et des cœurs seront là, forcément on a envie de donner davantage. Tout cela m'a donc aussi permis d'écrire un texte par mois depuis le mois d'octobre et de me relancer dans une dynamique d'écriture.
As-tu une technique particulière pour écrire, ou tu te laisses guider?
Aucune. J'aime bien écrire le matin. J'aime bien le matin en général au petit déjeuner parce qu'il n'y a pas de limite, on peut commencer et s'arrêter à 14h sans avoir vu le temps passer, parce que les idées sont claires et fraîches et j'aime bien ce moment-là en général. Mais ça peut aussi m'arriver d'écrire à n’importe quel moment, parce que c’est viscéral, parce que j'ai besoin, à ce moment précis, de coucher des choses sur du papier. Ça vient comme ça sans prévenir, ça peut être quand je suis seule dans la rue à une terrasse de café, ça peut également être à un moment où je suis avec des personnes et du coup je m'isole pour pouvoir dire et écrire les choses comme je les entends et comme je les ressens...
Quand tu écris le matin, tu peux te laisser embarquer par les mots quasiment toute la journée?
Oui c'est ça. C'est l'idée qu'il n'y a pas de limite et que mon temps n'est pas compté. Exactement. Toujours ce rapport au temps. Le temps de prendre le temps...
C'est un choix délibéré, tu te dis: “je me donne aux mots”
C'est un choix et ça s'impose à moi aussi. Je me lève, je bois mon thé et j'ai envie d’écrire, mais quand j'écris en général ça m'emporte, je ne suis pas forcément en maîtrise de ce que j'écris, sur le moment je le fais, ça sort tout seul. Du coup, c’est agréable et encore plus jouissif de se laisser emporter à un moment de la journée où on sait que rien ne pourra nous arrêter, oui.
Tu te donnes une vraie liberté!
C'est ça. Oui. J'essaie
Tu disais que ça s'imposait à toi, c'est les deux ?
Oui, j'ai envie d'écrire et à la fois, je sens que ça va venir. Parce qu'on peut avoir envie d'écrire et que rien ne vienne, ça peut être le cas, et ça l’a été pendant des années. Donc oui, c'est toujours un conflit interne, je suis toujours en train de me demander: “est-ce que ça va venir?”. Et tous les mois, c'est plutôt: “est-ce que ça va revenir?”
Tu as une grande particularité puisque tu écris aussi avec les mains : tu signes...
Oui.
Comment t'est venu ce double-langage ?
En fait, j'ai commencé à apprendre la langue des signes il y a deux ans, c’est donc très récent et j’ai encore de longues années d’apprentissage devant moi. Mon attrait pour la langue des signes, il y a beaucoup de raisons derrière… Il y a bien-sûr le fait que je sois linguiste de formation et que je sois donc très attirée par les langues et toutes formes de langage en général. Il y a aussi le fait que depuis toute petite, j'ai toujours voulu apprendre cette langue : avec mes cousines, on avait même inventé un langage des signes à nous, un alphabet, on communiquait comme ça quand on était gamines, en vacances chez nos grands-parents l’été. Et la dernière raison, c'est que je danse beaucoup. Les danses que je pratique sont des danses de couple, et même si mon petit plaisir c’est de mélanger les danses pour créer autre chose, ma danse de cœur reste le tango argentin. C’est une danse où on va dessiner plutôt avec les jambes et avec les pieds, pas avec les mains. La langue des signes, c’est donc reprendre cette liberté de peindre, de danser et de dire aussi avec les mains. La décision de m’inscrire au cours de LSF est née il y a deux ans à la fin de l’été : j’étais à un festival d'art de la rue, La Route du Sirque à Nexon, et il y avait de la musique sur laquelle j'avais très envie de danser, mais je n’avais pas de partenaire et du coup j’étais hyper frustrée : j’avais vu des choses magnifiques toute la journée, des spectacles sublimes, beaucoup de générosité, de sensibilité et d'expression et du coup, j'ai commencé à danser et à dessiner avec mes mains dans le ciel, c’était plus fort que moi. Et je me suis dit, à ce moment-là, il faut que je l'apprenne cette langue des signes, ça sera mon objectif de septembre ! Souvent en fin d’été, on fait un peu le point, un bilan des choses qu'on a envie de faire.
Du coup, j'ai commencé la langue des signes il y a deux ans, et le slam c’était il y a un an, également en septembre, également après un festival, mais qui m’a donné envie d’écrire celui-là : Uzeste Musical. Quand j’ai commencé à signer, j’ai découvert que corporellement il se passe beaucoup de choses. J’ai tout de suite pris beaucoup de plaisir à jouer avec les mains. Je me suis vite rendu compte que c'était presque une danse également, et en tous cas, pour moi, un moyen d'expression extrêmement fort. Et du coup, j'ai mélangé ces deux choses de façon assez naturelle. Parce que j’adore le métissage artistique. Parce que le corps parle parfois plus que les mots. J'ai fait mon premier slam avec quelques petits signes, comme ça, en octobre, j'ai vu que ça avait énormément plu aux gens qui étaient présents ce jour-là, et moi, j'y ai pris un plaisir incommensurable, de double expression, c'était extrêmement fort ce que j'ai ressenti, et je me suis dit allez, je vais essayer de faire ça à chaque fois, mais toujours avec cette crainte que ça ne fonctionne pas. Et à chaque fois ça fonctionne, en tous cas pour moi ça fonctionne, et j'ai l'impression de dire les choses avec beaucoup plus de force et de justesse.
C'est à dire que tu maries absolument magnifiquement les deux langages. Ils s'épousent tous les deux.
Oui, c'est ce que j'essaie de faire. D'ailleurs je ne me regarde jamais, c'est une règle, un choix. Je vais répéter le slam pour mémoriser, car je dois combiner la mémoire des mots et la mémoire du corps, mais je ne veux pas me regarder, je veux vraiment que ça vienne de l'intérieur, ressentir le mouvement. Le monde de la danse est un monde où on se regarde beaucoup, beaucoup trop, et je suis fatiguée de ça. Donc pas de miroir, juste un mouvement vers l’extérieur, un don en accord avec ce que je ressens et comment je le ressens... à l’aveugle. Et comme j'ai de jolis retours, je continue.
C'est à dire que on sent que tu prends un plaisir incommensurable à le faire, ça se sent, ça transpire de ton regard en fait, de ton visage, pas que de ton regard... Du coup, ça te porte...
Du coup oui, je suis portée par les deux modes d’expression, la mémoire corporelle et la mémoire des mots. Et je me suis rendu compte en répétant pas mal, que parfois le fait d'oublier le signe me fait oublier le mot et inversement, c'est vraiment uni, je les vis en même temps et l’un déclenche l’autre.
Du coup, quand tu écris, que tu imagines ton texte, du coup, tu écris comment ? Avec les signes ou...?
Pas du tout. J'écris mon texte pour le sens, pour les mots, je n'intègre pas du tout les signes au moment de l'écriture. Ca vient après. Et je ne signe pas tout, je n'ai absolument pas les capacités linguistiques de le faire, mais par contre je choisis les mots clés, les idées clés, et j'essaie de choisir le signe qui va faire sens, soit pour moi parce que je l’ai vraiment intégré dans mon processus d’apprentissage, mais le plus souvent, j’essaie de choisir le signe qui va faire sens pour moi et pour le public car peu de personnes parlent la LSF dans le public. Il m’arrive donc souvent de changer le mot, de signer un autre mot, plus visuel, plus clair , c’est pour ça que je préfère parler d’idées clés plutôt que de mots clés. Et après, quand j’ai choisi les signes, je les intègre au rythme de mon discours, ils s’installent par-ci, par-là, ils trouvent leur place progressivement, et le rythme du texte lui-même s’en trouve parfois altéré. Et entre chaque signe, mes mains dessinent des liaisons et prennent plus de liberté. C’est une forme d’interprétation visuelle de mes émotions. Et il m’arrive aussi de signer autre chose que ce que je dis, pour m’amuser, parce que ça rajoute au sens, c’est un peu comme des jeux de main pour soutenir mes jeux de mots. Par exemple, dans un de mes slams, je dis « Tourner ma langue dans ma bouche, cette fois j’dis rien et j’botte en touche » et bah, au moment où je dis « cette », je signe le chiffre 7. Voilà, c’est un jeu de main.
Et tu veux aller vers quoi ? Tu tâtonnes ? Tu as une idée en tête ? As-tu envie d'aller quelque part en particulier avec ce dialogue, ce langage ?
Non, j'ai envie de rester là où je suis parce que je m'y plais, j'ai envie de continuer à faire ça, parce qu’à chaque fois je prends beaucoup de plaisir. Par contre, je n'ai aucune direction. Je suis vraiment dans le moment présent et c'est ce qui me fait du bien.
C'était magnifique. Et ça m'a fait penser au dernier spectacle de Liz Cherhal qui est signé aussi. Elle chante en signant.
Merci beaucoup. Je ne connais pas du tout. Je vais aller voir ça. J’ai récemment découvert qu’il y a énormément de choses qui sont faites en chansigne aujourd’hui, mais le chansigne est une discipline artistique à part entière, c’est un art que peu de personnes maîtrisent et qui moi me fascine. De mon côté, j’essaie juste de mettre quelques signes en mouvement afin qu’ils portent mes mots.
J'ai pensé tout de suite à elle quand je t'ai vue. Bravo
Merci Philippe. Bonne continuation à toi. Ton projet est très chouette et ça me permet de découvrir les slameurs de la Coupe, progressivement, jour après jour. J’ai du coup bien hâte de tous les rencontrer le 22 juin. Encore merci !
Un grand merci à la Ligue Slam de France, à toute l’équipe de Tours, notamment bien sûr à Julia aux mains qui dansent pour sa disponibilité... Propos recueillis par #PG9
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