Slameuse/ Slameur: Chadeline
Equipe de: Vernou
Pourquoi Slamez-vous?
Enquête auprès des poètes sélectionné-e-s pour la Coupe de la Ligue Slam de France 2020
Bonjour Chadeline ! Comment as-tu rencontré le slam? Te souviens-tu de la première scène à laquelle tu as assistée, puis participé (et donc de ton premier texte)?
Je pensais connaître le "slam" comme beaucoup de personnes en France, comme un genre musical... J'étais allée voir un concert de Grand Corps Malade aux Cuizines à Chelles, j'avais beaucoup apprécié les artistes présents, mais la 1ère "scène slam de poésie" à laquelle j'ai assistée, c'était à Melun en 2009. J'étais "spectatrice" avec mon frère et un ami. Et puis mon frère a "posé un texte"... Je griffonnais déjà depuis longtemps dans mon coin - dans tous le sens du terme car je dessinais, j'écrivais... mais je ne partageais pas beaucoup mes productions. Et puis j'ai trouvé cela sympa de voir et d'entendre tant de "partages", de genres différents. Je me suis rendue compte qu'on pouvait venir dire ce qu'on voulait. Je me suis donc davantage intéressée à ce mouvement.
J'étais jusque là attirée par le théâtre et les matchs d'impro... mais ce qui me gênait dans le théâtre, c'était d'être en quelque sorte le "pantin" de quelqu'un... J'étais en quête de davantage de liberté - d'un moyen d'expression où je pourrais interpréter (comme je le sens) mes propres textes et j'ai trouvé ça ce soir-là dans le slam!! J'ai assisté au Grand Slam National en 2009, encourageant mon frère qui faisait partie de l'équipe de Melun et j'ai été vraiment conquise par la richesse de cette multitude de textes, de styles, de thèmes qui pouvaient être interprétés!
J'ai commencé à écrire un peu plus et je me suis lancée en 2010, juste avant la sélection pour le Grand Slam National qui a lieu à Paris Belleville chaque année. J'étais tremblante, mon premier texte était une déclaration d'amour et d'engagement... Je ne l'ai jamais redit, c'était un instant unique, le moment où on "ose" se lancer, pour la "première fois"... Ce n'est pas évident : on a peur de ce que vont penser les personnes dans la salle, peur de flancher... ma feuille tremblait, c'était horrible, et j'ai eu des pénalités car pas encore "calibrée" dans les 3'9mn... mais ce n'était pas grave, j'étais tellement contente d'avoir "lâché" ce que j'avais à dire ce soir-là! J'avais "franchi un cap", je m'engageais dans une voie...
D'ailleurs au départ, j'étais plutôt sur des textes "engagés", que ce soit un engagement personnel, philosophique ou par rapport à des faits de société. J'avais besoin de livrer ce qui me tenait à coeur. J'ai préparé des textes pour participer à la sélection du Grand Slam National et me lancer vraiment à mon tour "dans le game"! Cela a payé : je me suis retrouvée ex-aequo en finale individuelle avec Lord Myke Jam et Gabrielle Tuloup - je n'en revenais pas!! Mon 1er texte "calibré" pour le slam était "Guerrier de lumière" - j'y livre beaucoup de valeurs qui me tiennent à coeur - mais aussi, dès le début du texte ce sentiment de frustration de vouloir être sur Terre pour de bonnes raisons, d'avoir envie "d'agir" et de se retrouver souvent "petit", ou "trop dérangeant", "trop en dehors de la case dans laquelle ou voudrait me coincer... Mais, tel le colibris, je "fais ma part sans bruit" : je continue d'avancer, de construire, de faire ce que je peux dans ma "sphère" - ainsi mon "guerrier de lumière" se termine par "une larme d'espoir"!...
Comment écris-tu tes textes? Qu'est-ce qui t'inspire? Aimes tu te mettre dans des conditions particulières pour écrire?
Avant, j'étais seule... c'était plus facile d'écrire car j'avais beaucoup plus de temps, je pouvais m'isoler : j'ai besoin d'être seule pour me retrouver avec moi-même, laisser les sentiments, les idées m'envahir... Je me promenais avec toujours un petit carnet dans mon sac, je notais les idées quand ça venait: un moment vécu, une phrase qui me vient, un mot, une image... parfois une discussion avec une copine qui me fait penser à quelque chose... alors faut que je note car j'ai peur d'oublier ! J'ai toujours plein de petits carnets qui traînent (et je conseille toujours aux jeunes que j'ai en atelier d'en avoir sous le coude!!) mais je note aussi souvent sur mon téléphone maintenant (très mauvaise idée quand on se le fait voler...)
Ce qui m'inspire? La philosophie : essayer de comprendre ce monde dans lequel on vit, en retranscrire mon ressenti, mes envies, mes douleurs, mes colères... Certains sujets me tiennent à coeur comme le racisme, le handicap, l'"humanisme"... Enfant, les discussions politiques à la maison m'ont toujours "gonflée", faut le dire... et ça finissait toujours par des prises de tête. Les discussions tout court je crois en fait... Je ne supportais pas les cris, je ne parlais pas trop, je restais dans mon coin, très discrète, à me confier à mes chats, à dessiner...
Ma mère était très dévouée, elle aidait tout le monde autour d'elle, en particulier les "jeunes" en difficulté. Très vite j'ai trouvé ma voie en travaillant dans le spécialisé et très vite j'ai vu dans le slam un formidable moyen de s'exprimer, que ce soit pour moi ou mes élèves!...
Je fais souvent passer ma colère par de l'ironie. J'ai écrit au départ "Guerrier de lumière" car je me suis vraiment retrouvée dans les oeuvres de Coelho - il m'a inspirée et j'avais envie de traduire ainsi mon ressenti, mes aspirations. Puis je travaillais à l'époque dans un centre de Rééducation Fonctionnelle Infantile & Institut Thérapeutique Educatif et Pédagogique (CRFI / ITEP) qui était extraordinaire de par la richesse des prises en charge, la rencontre de ces publics "opposés" (des élèves avec troubles du comportement parfois très violents face à des jeunes handicapés moteurs parfois très fragiles physiquement)... Cela m'a beaucoup confortée dans mes choix, mes aspirations, mes inspirations mais j'ai malheureusement aussi écrit pour dénoncer les incohérences d'un système qui préfère favoriser "l'économie" (fausse économie d'ailleurs!) en fermant ce centre...
Une page s'est tournée, et puis d'autres se sont ouvertes... D'autres thématiques de "vie" se sont offertes à moi : notamment le fait de fonder une famille avec Lord Myke Jam : je n'étais plus "seule" - je n'étais plus la "célibataire trentenaire" de mes textes-, je devenais "maman"... Forcément, notre vie a un peu changé, du moins, s'est encore davantage "remplie". J'ai commencé à ressentir le "manque de temps" pour me poser pour écrire et puis finalement j'ai réussi à traduire justement toutes ces émotions en textes. C'est toujours une sacrée gymnastique car je jongle entre beaucoup de choses : l'école, l'association "Le Panorama" que nous gérons avec Lord, les enfants, mes aspirations multiples... mais cela m'a amenée à livrer sur scène d'autres facettes de ma personnalité, à aborder d'autres sujets du "quotidien" avec quelques touches d'autodérision. Souvent des personnes s'identifient et viennent me voir après certains textes comme "la procrastination" ou "syllogomanie" ou encore "c'est dur d'avoir 3 ans"... C'est tout aussi intéressant de partager ces instants du quotidien, autour de sujets qui peuvent paraître peut-être banal ou moins importants que "les guerres de religion", "l'esclavage", mais certaines personnes ont aussi besoin d'en parler! En fait, ce qui est justement intéressant dans le slam de poésie, c'est de pouvoir "ouvrir" la discussion, la réflexion sur un sujet, quel qu'il soit!
En ce moment j'ai des aspirations à nouveau plus engagées, beaucoup de choses me mettant en colère... J'aimerais avoir ce pouvoir de déclencher des réflexions chez les gens - qu'ils se disent que, eux aussi, à leur échelle, sont capables de faire des choses - qu'ensemble on peut faire davantage - que si l'on rêve, qu'on imagine, pourquoi on ne pourrait pas le "faire"?!... Après, d'autres événements de la vie plus douloureux comme des décès, des épreuves à surmonter, des blessures à guérir, des colères à calmer ont inspiré d'autres textes dans lesquelles d'autres personnes peuvent aussi parfois s'identifier. Personnellement, c'est aussi quelque fois une façon de déposer sur le papier des sentiments, des colères envahissant les pensées - sans trop savoir si on dira ensuite le texte sur scène ou pas...
Si tu as d'autres activités artistiques, le Slam a-t-il une place particulière dans ton processus créatif ?
Le slam est pour moi comme une mosaïque ou un dessin aux pastels : je peux y passer des heures, je suis exigeante avec mes textes - j'ai besoin d'être vraiment très satisfaite avant de les partager - besoin d'y revenir - de dire - de laisser mon cerveau absorber - d'avoir des moments de latence - d'y revenir encore - de peaufiner... C'est rare, même si cela est déjà arrivé, que j'écrive un texte en une traite. Je suis de nature très observatrice, à accorder parfois trop d'importance à de tous petits détails (je focalise par exemple très rapidement sur les tics des gens...lol ... douée en imitation... mais ça m'agace aussi très vite!). Je pense que les écrivains, comme les dessinateurs, sont des personnes qui "observent" le monde et parviennent à retranscrire ensuite leur ressenti. Je suis quelqu'un d'hypersensible, je dois parfois me protéger car j'absorbe aussi les énergies qui ne sont pas toujours positives - d'où le besoin de me retrouver seule aussi (forêt, montagne)... Je ne suis pas de ceux qui s'inspirent à la terrasse des cafés. La musique peut m'inspirer, aussi.
Comment est la scène slam autour de chez toi? La fréquentes-tu assidûment chez toi et aussi ailleurs?
J'anime la scène à la Taverne à Vernou depuis 2012. Notre scène était mensuelle mais nous avons réduit un peu la cadence car il était difficile de mener "tout de front". Nous passons maintenant énormément de temps avec nos jeunes du "Rêve de ma plume" - Lord et moi sommes davantage en position de "coach" désormais et nous développons d'autres projets qui sont d'ailleurs dans d'autres lieux que des bars et à d'autres moments de la journée que le soir - cela freine certaines familles que la scène se passe dans un bar le soir.
Que dirais-tu à quelqu'un qui cherche à découvrir la discipline pour lui donner envie?
"Crie, parle, on t'écoute"!!
Tout le monde besoin d'être entendu, d'être écouté, d'où le fleurissement des réseaux sociaux!... tout le monde a des trucs à raconter, des colères à exprimer, des bonnes nouvelles à annoncer... Et bien c'est l'occasion d'être simplement "écouté" : 3 minutes où les oreilles seront rivées sur le message à faire passer!
Alors viens "PARTAGER"!!
Quelle est pour toi la place de la poésie dans la société?
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