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[Plonger dans l'âme de...] Tété. La Vérité d'un joueur

Dernière mise à jour : 3 mai 2020

Hyper souriant, agréable, à l'écoute, partageur, drôle... Tété en ferait presque oublier qu'il est aussi hyper sérieux et réfléchi. Tout ce qu'il crée s'appuie sur l'envie de partager du sens (et de l'amour). Bibliothèque de souvenirs et de pensées, juke box à musique, farandole de mots et d'émotions, il apprécie l'automne pour la variété de ses couleurs - peut-être aussi parce qu'il en a fait un tube, "A la faveur de l'automne". Il se renouvelle sans cesse à la faveur des nouvelles histoires que lui inspire le monde: la vie reste un jeu dans lequel il souhaite garder son âme d'enfant avec un vrai regard d'adulte pour éviter de tomber dans les pièges de la manipulation qu'il dénonce dans "Fautenthique", son dernier album. De tout cela et de beaucoup d'autres choses, il en est question dans ce qui suit... Merci Tété pour ce très sympathique échange!


Tété en concert (C)

Enchanté Tété. On se rend compte dans tout ce que tu fais, mais c'est normal, que tu ne fais rien par hasard en fait. Tu as l'air de faire les choses avec beaucoup de simplicité et tu le fais avec beaucoup de talent, mais tout part d'une vraie démarche, d'une vraie réflexion pour « capturer l'essence d'une époque », la partager et faire réagir...


Oui.


"Fauthentique", par exemple, combien de temps as-tu mis pour concevoir l'album ?

L'album d'avant (NDLR: "Les chroniques de Pierrot Lunaire"), était sorti en 2016 et j'ai commencé à écrire les toutes premières chansons pendant sa tournée. Parce que j'aime bien ne pas m'arrêter d'écrire. Parce que c'est un besoin, parce que c'est une passion qui s'entretient, à tel point que je m'apprête à publier l'Acte II de Fauthentique. Du coup, ces chansons ont commencé à être écrites à partir de 2017 quelque chose comme ça. Je me suis laissé porter par l'inspiration comme elle venait. "King Simili", l'histoire du faussaire, m'a donné l'idée du reste de l'album en fait...


Tété: "King Simili" (album "Fauthentique")


Tu as commencé à écrire pendant la tournée, mais ce que tu dis c'est que ta source d'inspiration, c'est le monde, ce que tu ressens autour de toi...


Oui. Il y a une expression que j'aime beaucoup qui dit "aucun homme n'est une île" (John Donne 1572-1631). Et c'est vrai que c'est difficile, je trouve, de faire abstraction de ce qui se passe autour de nous, même quand on ne suit pas particulièrement les informations. Je ne suis pas capable de dire ce qui est arrivé à Donald Trump, il y a une heure et demie, par contre, les grandes tendances s'imposent à nous.


Parmi les grandes tendances, il y a ce principe d'une vérité qu'on fuit...


C'est presque ça... L'idée de "Fauthentique", c'est de jouer avec la perception. Effectivement, on parlait d'informations, il est beaucoup question de vrai, de faux dans les infos depuis quelques temps... La différence qu'il y a entre le vrai et le faux, c'est la perception qu'on en a, et la question que pose l'album, c'est : "est-ce que cette perception nous appartient encore?". Parce que la rumeur, qui a toujours existé, joue avec notre perception. On ne sait pas si c'est vrai ou pas. Elle déforme un peu la réalité comme un miroir grossissant, la fake-news, pareil. Le charlatan joue un peu avec notre perception. Le magicien détourne notre attention en un point précis, ce qui lui laisse lui le temps d'attraper un lapin ou une fausse carte dans sa manche... Tout ça, encore une fois, ce sont des jeux de perception et je trouvais qu'il y avait quelque chose de vraiment fascinant là-dedans. Après, le fait de jouer avec la perception, ça peut-être aussi le mensonge. Ce que je trouve intéressant, c'est que le mensonge, la rumeur, c'est aussi une histoire, une histoire fausse certes, mais c'est aussi une histoire. Et moi, en tant qu'auteur depuis tant d'années, mon "métier", c'est d'écrire des histoires justement. Et c'est vrai que ça me fascine ce processus de me dire: comment naît une histoire, fut-elle fausse?


Tu t'inspires de quoi ?

Tété à Hawaï (vous êtes sûr?)

Keith Richards disait que "tout est chanson". J'aime beaucoup cette image-là. Je m'inspire de ce que j'entends, de ce que je lis, de choses que je vois dans les infos. Je m'inspire de mes propres travers aussi... "Fauthentique" est vraiment un album ironique, plein d'humour. Encore une fois, l'humour c'est quelque part la politesse de la navrance. On est face à une époque ou à des choses sur lesquelles on a l'impression de ne pas toujours avoir autant de prise qu'on voudrait, alors, arriver à en rire, c'est se réapproprier un peu son quotidien. C'est ce que font les gamins. Quand ils se moquent du prof ou du surveillant, ils le font toujours derrière son dos. Ils n'iront jamais le défier, ils ne vont jamais défier l'ordre des choses, sauf à s'exposer à des soucis. Par contre, rigoler sous cape, ça ne fait de mal à personne et ça fait même du bien.


Tu dis: "il ne s'agit plus de dire la vérité, mais d'avoir raison" ...


Oui ! Les rumeurs ont toujours existé, leur forme moderne, ce sont les fake news et les fake news, ce sont simplement des rumeurs décuplées par les moyens technologiques qu'on a maintenant parce que tout va beaucoup plus vite. Et, à mesure que tout va beaucoup plus vite, les gens sont inondés, assommés d'informations, ce qui fait qu'il y a un peu une guerre de l'attention. On le voit sur les plateaux de télé où c'est vrai que ce qu'on veut c'est avoir des éditorialistes qui assènent des « vérités » ou des choses polémiques parce que ça fait du monde. Un peu comme les jeux romains dans l'Antiquité. Il y a toujours cette fascination pour la joute, verbale ou pas, avec des postures très fortes, un adversaire qui est mis à mort... On n'est plus dans le temps de la réflexion, mais dans un combat verbal. C'est un spectacle quoi.


Les arènes de l'info, effectivement !


Oui, c'est ça.


Donc, cette gestation d'idées te pousse à écrire des histoires qui deviennent des chansons... Tu commences donc par les histoires et tu composes après ?

Tété dans le micro (c)

Ca dépend. Longtemps, j'ai commencé avec la mélodie et puis il y a quelques années j'ai eu la chance d'être invité par Simon Astier à mettre en musique un épisode de la saison 4, puis après de la saison 5 de la série "Hero Corp". Simon est arrivé avec le scénario et des bouts de dialogue qu'il voulait que je mette en musique. J'ai trouvé ça génial, mais je ne savais pas par quelle porte entrer. Et, il m'a aidé en me donnant des noms d'émotion. Il me disait, voilà, là c'est plutôt comme ci, là c'est plutôt comme ça etc. Et c'était génial pour moi de rentrer dans une chanson par le texte et c'est ce que j'ai essayé de faire sur mes deux derniers albums. C'est vrai que ce sont plus des albums fil rouge. Dans le précédent, il y avait cette idée de retrouver un peu son regard d'enfant, là maintenant, c'est le fauthentique. J'aime bien l'idée que les chansons forment un tout.


Comme un livre, quelque part


Complètement.


Serais-tu tenté par l'écriture d'un roman ?


J'adorerais. On me pose beaucoup la question en ce moment. J'adorerais, mais je n'ai jamais réussi à trouver le temps, parce que je suis un artiste indé, que je fais beaucoup, beaucoup de choses moi-même, mais c'est vraiment quelque chose que je me souhaite.


C'est très logique... En t'écoutant, on sent vraiment que tout ce que tu décides de faire s'appuie sur la volonté de dire quelque chose de réfléchi, de faire passer un message en tous cas...


On vit une époque est complètement dingue où il y a tellement de sujets. Moi, je suis de 1975 et c'est vrai que les gens sont souvent fascinés par la décennie qui les a vus naître. Les gamins de ma génération étaient fascinés par les 70's. Ceux qui ont 20 ans aujourd'hui sont fascinés par les 90's ou le début des années 2000. Je suis resté sur l'absolu des 70's pendant très longtemps et il m'a fallu du temps pour me dire attends, tu vis une époque où il se passe des choses qui valent la peine d'être racontées...


Tu es en milieu de tournée, tu faisais une pause, mais tu reprends incessamment sous peu. Comment ce sont passés les premiers concerts ?

Hugo Séchoz et Tété. Tournée "Fauthentique" (C)

C'était génial. Sur cette tournée, on est deux sur scène, un bassiste Hugo Séchoz et moi. Deux heures de concert, de voyage musical avec, donc, les chansons de l'album "Fauthentique" mais aussi de vielles chansons que j'ai toujours grand plaisir à jouer. La particularité, toujours dans le côté fil rouge et dans la continuité de la musique, c'est que le décor est un décor imaginaire et qu'on est accompagnés par un orchestre imaginaire sur scène... A part la voix et les guitares, donc, tout est faux. Tout a été programmé pour qu'on ait l'impression que ce sont des musiciens qui jouent... C'est, encore une fois, pour jouer avec la perception des gens. J'aime bien cette idée de me dire, on a l'impression d'entendre une basse et ça n'en est pas, ce sont des 1 et des 0 ! La question qu'il y a derrière : c'est combien de personnes dans votre quotidien vous racontent des carabistouilles en face ? Parce que moi, finalement, ça ne va pas très loin, c'est de la musique, c'est de la taquinerie un peu comme on ferait avec un copain, c'est bienveillant. Mais quelqu'un qui joue avec, je ne sais pas, votre capacité à lui filer votre numéro de carte bleue, votre capacité à signer un contrat qui va clairement être dans votre défaveur d'ici quelques années... Il y a de nombreux exemples. Tout ça est une manière de le dire en en riant.


Tu dis aussi : "tous mes réseaux sont une 'fake news". Du coup, quand même, où est ta vérité ?

Tété vainqueur de Roland Garros (c)

Ah... Ma vérité est dans le jeu et dans le fait que j'annonce la couleur tout le temps. Ma vérité, bizarrement, sur cet album elle est de questionner le faux. Parce que du coup, je fais partie du faux. Je crois qu'une histoire, c'est la démesure. Parce qu'on a besoin de créer du sens. Notre cerveau marche comme ça. Je veux dire, si on dit aux gens 2 + 3 = 4, non, il y a un truc qui ne va pas. Et c'est vrai qu'une histoire, c'est toujours plus drôle quand c'est empathique. Si je dis j'avais mal aux pieds en me levant ce matin, ça ne va pas concentrer l'attention. Par contre, si je raconte que je me suis levé, que mon pied avait triplé de volume et qu'il était violacé, tout de suite, ça convoque une image. Le mensonge, malheureusement, convoque des fois plus d'images que le réel... Comme les légendes, les contes... Je crois que la force des histoires, c'est qu'indépendamment de nous divertir, elles nous définissent et je ne sais plus à qui je disais dernièrement : je connais 200 prénoms nord-américains, mais des prénoms turcs, je n'en connais aucun. Pourquoi ? Parce que depuis tout petit, je consomme des histoires US et en m'imprégnant de ces histoires, en m'identifiant à ces personnages, j'apprends toute la grammaire de l'imaginaire américain, j'apprends les prénoms... C'est vrai que c'est à la fois incroyablement simple et puissant une histoire, je trouve.


Quelle est du coup ton histoire fondatrice ? Est-ce que tu as un livre, une fable, une légende... source ?


Mes pères fondateurs, restent Kezyah Jones, Bod Dylan... Des gens qui redéfinissaient le réel en chantant et qui étaient dans l'itinérance, toujours sur des chemins de traverse dans le sens où ils se sont extraits de leur milieu, de leur condition, de ce qu'aurait dû être leur vie pour l'écrire eux-mêmes. On a ça dans le truc de l'auteur. Moi, j'aime bien l'idée de me dire qu'on fait ce qu'on croit possible et ça marche dans tous les sens. A partir du moment où on arrête de se dire qu'une chose est impossible, on finit par la faire. A un journaliste qui me demandait comment je me décrirais, j'ai dit : "je suis un voyagiste du cœur". On sortait juste de la description du concert et je crois que le concert est un voyage... Au milieu de tout ce dont on a parlé là, ce qui doit revenir, ce sont les émotions. Pour parler un peu de Fautenthique Acte II, là, on va ressortir quelques chansons, des inédits, d'ici quelques jours sur les plate-formes de téléchargement légales et j'ai voulu prendre un peu le contrepoint de l'album. Il est très conceptuel, il parle du faux etc et là, j'ai eu envie, besoin, d'autres choses. J'ai commencé par une chanson qui s'appelle "Le cœur sur les épaules" qui justement parle d'émotion. Tu me demandais où est ma vérité, dans le milieu de tout ça, c'est ça. C'est quand au détour d'une histoire, d'une mélodie, tu as un petit frisson. Au moment où, je sais pas, il se passe un truc drôle, tu croises le regard avec un-e inconnu-e, avec un copain, il y a un moment de complicité sans mot, un truc indescriptible et que tu ne peux pas mettre en scène. Un truc qui t'arrive... L'un est le pendant de l'autre. Ce qui définit la lumière, c'est l'obscurité, et inversement. C'est pour ça que j'ai eu envie de finir sur cette note-là.



On pourrait d'ailleurs dire de la même manière que ce qui définit le mot, c'est le silence...


Exactement. Je vais encore citer Keith Richard. Pour lui, le silence c'est la toile vierge sur laquelle on peint et que justement, l'un met en valeur l'autre. Les notes mettent en valeur le silence et inversement. Complètement.


La deuxième partie de la tournée qui démarre bientôt, notamment avec le Trianon du 2/12 prochain, ça va, tout s'annonce bien, tu as des souhaits particuliers ? La 1ère partie t'a permis de mod/ifier des choses pour la deuxième partie ou... ?


On a constamment modifié des choses, changé l'ordre des chansons, on en a joué de nouvelles, on en a enlevé d'autres... Chaque concert a été l'occasion d'une expérience. Un concert c'est la rencontre entre un répertoire, un lieu et un public. Chose que je n'avais jamais faite, c'est que là, sur cette tournée-là, on a commencé à tourner des vidéos où et le public et moi sommes face caméra sans amplification et on chante tous la chanson ensemble et c'est vrai que sur les chansons dont les gens connaissent le plus les paroles, moi ça me donne les poils à chaque fois. C'est vrai que je suis très content de rejouer au Trianon après l'Elysée Montmartre complet qu'on a fait peu de temps après la sortie de l'album. Je vais continuer à aller chercher le plaisir et à essayer de le rendre autant que je peux jusque mars avril pour la tournée en France. Et je vais partir en Australie en Janvier prochain faire une tournée et je suis très content, ça doit être ma 4ème fois en Australie. Ca fait quelques années que je ne suis pas allé. Et puis, sinon, je donne rendez-vous sur les réseaux sociaux. Où là, très régulièrement on va proposer des trucs.


Où tu t'amuses beaucoup!


Oui. C'est ce que je disais, c'est vraiment une philosophie : il faut se marrer, prendre du plaisir. Parce que comme on dit, les soucis, c'est comme le fisc, ils te retrouvent toujours. Sur les réseaux sociaux, on va balancer plein de chansons pour accompagner mon public jusqu'au Trianon. Et après, c'est vrai que je dis toujours que j'ai la chance d'être accompagné par un public qui a une vraie élégance, qui me fait l'élégance de son assiduité depuis 20 ans. Et vraiment un truc qui est très important pour moi d'essayer de faire attention de toujours essayer d'être à la hauteur du truc.


Juste pour conclure, ce que tu dis et que je trouve très touchant, c'est qu'au final cette tournée de "Fauthentique", sur scène, t'a fait approcher la vérité.


Complètement. Oui, c'est clair. La vérité du jeu, dans tous les sens du terme, à hauteur d'yeux avec les gens. C'est vrai que les concerts se finissent systématiquement en acoustique au milieu du public. C'est vrai que de la même manière que le silence met en valeur les notes, là, c'est vraiment tout le côté orchestre imaginaire qui met en valeur ensuite le silence de cette intimité. Et c'est vrai que c'est vraiment mon fil rouge. Moi qui ai commencé dans la rue en jouant au chapeau, je suis vraiment content de me sentir encore habité par ce plaisir-là et que les gens me fassent encore le cadeau de venir le faire résonner.


Propos recueillis par #PG9


Tété en concert. Photo: Nicolas Doubre (C)







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