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[Plonger dans l’âme de...] Chevalrex. Décalage et correspondances

Personnel, profond, intime. Ouvert et curieux. Un Chevalrex peut en cacher un autre! L’échange que vous allez découvrir ci-après a été d’une simplicité déconcertante par sa rapidité, sa forme et son contenu... entre deux dates de concert! Bref, Rémy (alias Chevalrex) est pleinement dans le monde des autres et dans le sien. En recherche et en correspondance. “Tu cherches sans fin le sens de l’histoire, va creuse un abri, parie sur l’espoir” (in “L’adversaire” - album “Anti-slogan”). Tout est à saisir dans la beauté des mots, mélodies et intentions. Tout est sens. Une magnifique travail à écouter et réécouter pour en (re) découvrir la richesse. Un artiste à suivre de près! Bonne lecture



Bonjour Rémy ! Enchanté de partir à la découverte de ton univers. Tout a commencé à Valence...


Oui, effectivement, je suis né en 1982 à Valence, dans la Drôme.


Tu as vécu longtemps là-bas ? Quels souvenirs en gardes-tu ?


Ça fait 4 ans maintenant que je suis à Paris – Montreuil, j'ai vécu un peu à Grenoble également en étant aux Beaux-Arts entre 2000 – 2004 je crois. Mais sinon, j’étais à Valence oui.


Tu y as découvert la musique, avec ton frère notamment...


Tout à fait. J'ai un grand frère, 5 ans de plus, passionné de musique. Bien avant moi, il collectionnait, achetait beaucoup la presse, s'intéressait à tout ce qui se faisait en France et partout ailleurs en termes de musique. Donc plein de trucs très chouettes me sont arrivés dans les oreilles à travers les murs de ma chambre. J'ai été un peu biberonné par des choses que j'écoute encore aujourd'hui pour la plupart.


Tes influences viennent de là?


Oui. J’ai eu cette chance, même si parfois ça peut aussi m’interroger. Je ne sais pas dans quelle mesure ça a pu me couper du monde de n'écouter que ces musiques-là très tôt. Je n'ai pas écouté Dorothée quand j'étais en primaire par exemple, ni Corona au collège. Tout de suite j'ai écouté dEUS, Dominique A, Pavement, des trucs qui étaient un peu pour les plus grands. Je crois que ça a formé et orienté mon oreille vers des choses un peu accidentées, des bizarreries...


En fait, ça t'a fait franchir 5 ans...


Un peu oui. Mais du coup, je n'étais pas trop avec mes contemporains non plus, ce ne m’a pas octroyé 5 ans d’avance en tout cas, juste une position un peu à part.


En décalage?


Sûrement.


Ce qui peut expliquer ton processus de création, au début en tous cas. Tes premiers albums, tu les as faits seul.


J'ai un rapport très solitaire au travail, à l'écriture, à l'expression... La genèse est sûrement un peu à cet endroit-là, effectivement. En tous cas, le fait d'écrire, d’enregistrer tout seul dans ma chambre est aussi lié à ces groupes que j'écoutais, souvent de la “first person music”, des voix d'hommes, de femmes, singulières. Il y a un rapport à l’intimité dans tout ça.


Créer seul ne veut pas dire, s'isoler du monde évidemment, ce sont deux choses différentes.


Non, non bien sûr. Disons qu’au moment de la création, il y a besoin de se retrouver soi-même, seul, mais qu’après, l’idée est de partager le plus possible...


C'est d’ailleurs comme ça que tu présentes “Anti-slogan”, ton dernier album, en citant Wiltold Gombrowicz: “À l’écart de tous les slogans, ce qui m’attache dans une œuvre d’art, c’est cette secrète déviation par quoi, tout en relevant de son époque, elle n’en demeure pas moins l’œuvre d’un individu bien distinct, vivant sa propre vie.” (in “Journal”). C'est exactement ça.


J'essaie de faire les choses sans trop les penser au départ, de rester assez spontané, brut. Je ne suis pas quelqu'un qui réfléchit au moment de faire les choses. Mais par contre un truc qui m'intéresse vraiment, c'est de savoir à peu près, quand les choses sont faites, comment les organiser, les penser ou les améliorer… Qu'est-ce qui fait que sur 20 chansons que je vais avoir écrites sur une période de travail, je ne vais en garder qu'un certain nombre pour faire un disque ? Qu'est-ce qui fait qu'elles s'articulent entre elles, qu'est-ce que je raconte à travers elles, quelles sont les idées... ? Empiler des chansons pour empiler des chansons ne m'intéresse que moyennement. Ce qui m’intéresse, c'est comprendre ce que j’ai tenté de faire, ce qui fait que ça a un sens, ce que je tricote quand je passe des heures à enregistrer, à écrire etc. Au final, il semble qu'il y a des idées qui se dégagent de tout ça, des choses qui me reflètent en tout cas et cette phrase de Gombrowicz sur laquelle je suis tombée en lisant son journal m'a vraiment percuté. On est dans le cœur du sujet !


Peux-tu nous raconter l'évolution de ton processus de création, justement, pour en arriver à “Anti-slogan”?


Le 1er disque sous le nom Chevalrex date de fin 2013, début 2014. Avant ça, j'avais déjà une pratique de la musique dans différents groupes, j'écrivais déjà, j'enregistrais déjà, mais Chevalrex est le premier projet que je porte seul, sur lequel j'assume complètement ma part d’auteur – compositeur – arrangeur…



Excuse-moi, question bête, Chevalrex... Qu'est-ce que ça veut dire ?


C'est une espèce de vision que j'ai eue. J'avais fait une pièce instrumentale, avant que le projet n'existe, un long morceau un peu épique qui se déployait sur la longueur avec un souffle qui me plaisait beaucoup, le mot chevaleresque s’y associait vraiment bien. Ça aurait été trop simple de l’appeler juste ainsi, alors il m’est venue l'idée de mettre un « x » au lieu du « sque » à la fin, comme une sorte de dyslexie. Boris Vian fait ça dans ses romans: il joue avec les lettres dans les noms… J'avais donc fait ça pour le titre du morceau de façon assez spontanée mais au moment où j'ai commencé à écrire “Catapulte”, mon premier disque, ce nom est réapparu et s'est imposé. Il incarnait ce que je voulais faire, un côté à la fois frondeur et boiteux. C'est une double direction, un point de tension. Je ne sais pas si ça veut dire quelque chose d’autre du coup, mais ça vient de quelque part en tout cas.


Oui et ton explication par rapport à Vian est très intéressante aussi, tout est cohérent.


Paradoxalement, autant j'aime beaucoup le Boris Vian musicien et figure libre, autant je ne suis pas complètement fan du romancier. Je n’ai jamais été transporté par ses livres. Il y a des choses qui me restent, notamment ce jeu avec la langue et quelques très belles images, mais ça ne me semble pas aussi fondamental que d’autres lectures ou même simplement ce qu’il incarne.


Tu picores un peu partout.


Oui.


Depuis ton premier album, tu as beaucoup évoluer pour en arriver à “Anti-slogan” ...


Ce que je peux dire de l'évolution de mon travail, c'est que le premier album, je l'ai vraiment fait seul chez moi, du début à la fin... J'étais encore dans la Drôme à ce moment-là. Je l'ai même sorti sur mon propre label, pas de distribution, pas de diffusion, etc. C'était vraiment l'expérience de l'autonomie totale, je crois que j'avais besoin de ça. Le second, je l'ai également enregistré à Valence et écrit seul. Sauf que le moment où je l’ai terminé, c'est le moment où je suis venu vivre à Paris. J’ai rencontré Franck Annese de Vietnam, qui est désormais le label qui sort mes disques. Les morceaux lui plaisaient beaucoup, il pensait que ça méritait peut-être de refaire des voix, de le faire mixer par quelqu'un d'extérieur… Enfin d'ouvrir un peu le son en laissant une personne compétente entrer dans le cercle. Évidemment, j’étais partant. Je connais les limites de mon expertise technique sur du mix et puis, fondamentalement, je suis curieux. M’ouvrir à d'autres façons de faire m’intéresse toujours. En tous cas, j'avais besoin de passer par cette première étape solitaire pour être solide. Donc pour « Futurisme », mon second disque, le mixeur Angy Laperdrix est arrivé en fin de parcours et ça a vraiment beaucoup apporté à l’ensemble. Au point que pour le dernier disque, « Anti-slogan », je l’ai intégré dès le début du processus. Je ne voulais pas tout faire seul à nouveau, Angy a été important dès les premières démos. Ça a été plus collaboratif, je ne voulais pas refaire le même disque, ça m’a conduit sur d’autres terrains. C’est une sorte d’ouverture progressive vers les autres, en 3 temps.


Qu’est-ce que ça a changé de fondamental en toi ?


Ce qui est intéressant là-dedans, c’est qu’en travaillant avec Angy et avec des musiciens, ça m’a permis d’affirmer les aspects qui m’importaient le plus: l’écriture et la vision globale. Travailler avec d’autres m’a complètement recentré. Les moments de création, la grâce ou les difficultés qu’ils impliquent, c’est ce que je veux préserver à tout prix. La bulle dans laquelle tu es au moment où tu fabriques des formes est l’un des plus belles îles que je connaisse, même si parfois tu es paumé, seul... Du coup, l’ouvrir à d’autres sans que ça ne modifie les contours, ça demande une solidité, et cette solidité ne vient qu’avec le temps je crois. Il fallait que j’en passe par là pour être tout à fait sûr que c’est ce que je voulais, il fallait vraiment que j’éprouve le travail seul pour pouvoir par la suite ouvrir la porte à d’autres en ayant confiance dans ce que je propose et en faire un terrain de jeux. Maintenant, j’assume davantage ce qui me guide vers l’écriture, ce que je cherche... Impliquer Angy au mix, Mocke à la guitare, Sylvain à la batterie, Olivier ou Steffen à la basse, un orchestre aux cordes, d'autres gens… n’enlève rien aux doutes, je continue toujours de douter sur ce que j’écris, on n'est jamais très sûrs de ce qu'on produit comme formes dans l’absolu, mais le fait de les confronter à d’autres rend tout plus vivant et solide, ça ne peut passer que par là. Donc oui ça a changé un truc.


Chevalrex. Photo: AuBonDeclic - Marylou (c)

C'est comme si tu avais eu besoin de te définir et maintenant que tu sais bien qui tu es, ce que tu fais, du coup, tu évolues, tu franchis des étapes complémentaires en continuant à picorer...


Oui. Je prends du plaisir à la découverte de nouvelles choses, d’autres méthodes, avis... pour en faire au final ce que je veux.


Ca nous amène à la scène. Qu'est-ce que ça veut dire du coup par rapport à elle, au spectacle... Que devient l'album sur scène ?


Depuis « Anti-slogan », on joue la plupart du temps à 4, avec les 3 musiciens qui ont participé au disque, mais je joue aussi régulièrement en solo. Mon rapport à la scène a évolué en même temps que les disques. Pour « Catapulte », j’ai fait beaucoup de concerts seul, sans avoir la certitude que ça allait passer par là pour moi. Je suis vraiment très attaché à l'écriture, au studio, au fait d’enregistrer.... mais mon rapport au concert n’était pas aussi évident. Même culturellement d'ailleurs, je n'ai jamais été un grand fan des concerts, je préfère écouter les disques chez moi ou ailleurs… Du coup, une vraie question se posait, comment faire avec mes chansons et mes aspirations ? Assez vite, heureusement, j'ai découvert un vrai plaisir. Il y a un truc sans filet, on s'expose directement et ça rejoint finalement le fait de s’ouvrir dont je parlais tout à l’heure. Ce qui m'intéresse aujourd’hui, au-delà de l'écriture, c'est justement m'exposer, confronter mon travail à d’autres personnes. L'espèce de tension que ça créait de dire certains mots, des mots le plus souvent assez intimes et qui me reflètent pour la plupart, c’est toujours assez excitant et enrichissant.


Ta démarche est très intéressante. Tu dis: “regarder un artiste grandir parce qu'il s'ouvre au monde”. On est vraiment là-dedans.


Chevalrex. Photo: Louis Canadas (c)

En vrai, je n'ai aucune idée de comment pourraient être les choses autrement, de quoi parler… Je ne réussis pas à imaginer autre chose, comme parcours en tout cas. Je ne peux parler que depuis la place qui est la mienne.


Et demain... L'avenir, tu le vois comment ?


Là, je suis en train de travailler assez activement sur le prochain disque, à écrire en tous cas. On n'a pas encore mis en route les enregistrements, mais j'ai déjà pas mal maquetté à la maison. L'envie est de continuer avec cette méthode de travail. Quand on a enregistré “Anti slogan”, on n’avait finalement très peu joué tous les 4 ensemble. On a enregistré en 3 jours mais on s'est un peu découverts en studio et c’est passé vite. J'étais ravi, ça a bien fonctionné mais depuis on a fait beaucoup de concerts. On a une autre façon de jouer ensemble, il y a un rapport plus physique et instinctif, plus incarné, plus dynamique, peut-être un peu plus rock aussi. Du coup, le prochain disque, j'ai envie de cette dynamique et intensité. Pour l’instant, mes disques sont un peu retenus dans le jeu, je veux que le prochain soit un peu plus offensif, engagé. A voir ce que ça va donner quand on va enregistrer. Pour l'instant, j'écris, mais j'ai vraiment envie de pousser les choses plus loin. Sans mettre de réserve à “Anti slogan”, je trouve le disque encore un peu timide, engoncé ou cadenassé. Très joli, bien fait... mais j'ai envie que ça pousse plus, que ce soit plus accidenté.


Quand tu dis engagé, tu parles d'esthétique musicale ou d'idées ?


Je parle de son, vraiment. Après dans le fond, il y a toujours un fond politique dans les choix qu’on fait et tout s’articule. Je parle de choses, je pense, j’écris… Ce que je dis s’applique à la musique mais est aussi le reflet de ma vie et mes envies, donc ça dépasse la musique. Je ne sais pas ce que pourrait être une musique engagée autrement qu’avec ce raisonnement-là, une musique qui suit les envies et la vie de celui ou celle qui l’écrit. Mais il n'empêche que quand je parle là, je parle plus d'engagement dans le son, de dynamique...


Bravo. Un mot de conclusion sur la création en France en général ou sur la société ?


Ce qui me semble important peut-être, l'une des qualités principales dans une œuvre, ou même au-delà d’ailleurs, dans les façons de vivre, de penser… c'est vraiment la notion d’autonomie. J'ai l'impression que c'est la chose centrale. Être le plus autonome possible, par rapport à l'époque, à toutes les formes de pollutions. C’est extra-musical, bien que ça s’y applique également, on peut appeler ça indépendance aussi, je crois qu'il y a un truc qui se joue là pour moi. C'est un mot important en tout cas : autonomie. Liberté aussi évidemment... J'associe les deux. La liberté par l'autonomie.


Propos recueillis par #PG9. Merci à Stéphanie Rodoz de W Spectacle et à André Hisse de La Bouche d'air (Scène "Chanson")







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