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[Livre] “L’histoire de M” de Sélim Nassib et Yolande Zauberman. Derrière le tournage du documentaire



Une avalanche de prix pour “M” de Yolande Zauberman, plongée sans jugement au plus profond du noir d’où jaillit la lumière d’une humanité qui renaît, reprend espoir, sort “purifiée” de nommer sa souffrance. L’écrivain Sélim Nassib, auquel on doit “Oum”, “Clandestin” ou encore “Un amant en Palestine”, a été l’oreille de tout le tournage, puisqu’il en a fait la prise de son. De cette position de témoin privilégié et d’entretiens menés en parallèle, il a tiré un livre puissant, lumineux, salvateur. Comme le film. Laissez-vous conter “L’histoire de M” par l’auteur lui-même... Bonne lecture


En août 2018, Yolande Zauberman nous parlait d’elle, de ses films, de sa manière de travailler... et, surtout, de “M” qu’elle venait de finir:




Bonjour Sélim. Vous enchaînez actuellement les avant-premières de “M” avec Yolande Zauberman?


Bonjour Philippe. Oui. Il y en a eu une hier, il y en a une là tout à l'heure, il y en a eu une la semaine dernière à Montreuil... C'est partout plein et passionné, les gens sont secoués. C'est incroyable.


Quelle aventure ce film ! Vous en avez fait un livre ?

Oui. J'ai écrit un livre qu'on a signé ensemble Yolande et moi. En prenant le son du film, j'ai assisté au tournage avec elle, à chaque seconde, puisqu'on ne peut pas tourner sans son. Progressivement, je me suis rendu compte que, grâce à cette alliance entre Yolande et Menahem, le protagoniste, ce monde-là, absolument fermé, s'était ouvert. Et comme je suis écrivain, c'était une occasion unique d’y rentrer, de le voir fonctionner dans son intimité... J'ai essayé d'avoir la même optique que Yolande, c'est à dire sans jugement. C'est vrai que, a priori, quand on voit ces gens de l'extérieur, on n'a pas vraiment envie ni de s'en approcher, ni d’être ami avec eux. Mais si jamais on dépasse cette première réaction, on rentre dans un monde comme si c'était une île inconnue du Pacifique... C'est comme s'ils ne vivaient pas dans ce pays, en Israël. Ils ne regardent pas la télé, ils n'ont pas internet, pas de journaux ni de radio “normaux”... Ils vivent dans un monde rythmé par les fêtes religieuses, ils sont dans des espèces de dynastie où chacune obéit à son grand rabbin.. Il y en a comme ça une quarantaine, éventuellement en guerre les unes contre les autres. Et je me suis suffisamment approché pour comprendre ce qui se passe dans leur tête. C'était vraiment comme si on en faisait nous même partie, on voyait tout... Au bout d'un moment, on a l'impression qu'ils ne sont même pas en Israël, que beaucoup d'entre eux rejettent d’ailleurs, sauf la plupart des grands rabbins, qui ont profité de leur position de bascule pour avoir des sous en contrepartie de leur soutien électoral et pour participer à la coalition gouvernementale, mais tout ça n'est absolument pas sensible sur le terrain. Parce que sur le terrain, ce sont des gens qui suivent des règles claires: passer son temps dans l'étude de la thora et du talmud, tout le temps. Ce sont des discussions infinies sur les différentes interprétations de quasiment chaque détail et de la vie courante, ce qu'on doit faire et ne pas faire, l'obéissance à 613 règles, les mizvot. La 1ère de ces règles c'est “il existe un Dieu”, la 613ème, c'est : “libère l'esclave si tu as couché avec elle”...


Tout ça n'a aucun sens !


Ca a l'air de n'en avoir aucun. Mais en réalité ils en tirent une morale assez forte, ils en tirent aussi une capacité d'interprétation, une agilité d'esprit assez abstraite qui, quand ils sortent de leur communauté, leur fait par exemple fonder des starts up qui rencontrent plein de succès. C'est ça qui est absurde ! Ca a l'air d'être un monde fermé, obscur, qui ne s'intéresse pas au problème et en réalité, ils sont comme des mathématiciens : leur raisonnement est totalement abstrait, mais il forme l'esprit... pour ceux qui sortent. Parce que les autres vont passer leur vie à plancher et à étudier sans fin. Ca, c'est la face présentable disons. La face cachée, c'est que par la promiscuité, la fermeture du milieu, il y a pas mal d'abus sexuels. Mais il y en a dans tout milieu fermé y compris dans le milieu fermé que pourrait être une famille.


Le problème dépasse largement ce cadre-là, c'est clair.


C'est ça... C'est ce que disent le film et le livre.


Combien de temps avez-vous passé là-bas ?

Entre le moment où on a commencé et le moment où le film est fini, il y a eu deux ans. Mais en réalité, des tournages, qui se faisaient toujours de nuit, il y en a eu 6 ou 7, de 10 jours chacun, sur deux ans. Ce qui fait que les gens qu'on a rencontrés, comme un jeune homme de 19 ans qui errait dans le cimetière parce qu'il devait se marier 3 mois plus tard et qu'il n'était pas sûr d'être attiré par les femmes parce qu'il avait passé son enfance à être violé, on a pu faire sa connaissance, le suivre et à son mariage et, 3 mois après, à son divorce. C'était incroyable, comme si c'était des personnages de fiction alors que ce sont des personnages absolument réels dans des situations extrêmes.


C'est incroyable d'entendre raconter ça. Ca donne des frissons.


Le livre aborde beaucoup d'autres questions. Par exemple, le personnage principal, qui a donc subi les abus sexuels de 3 personnes différentes. On apprend dans le livre, qu’il est le fils d'un converti. Son père était français, catholique. Une fois qu'il est arrivé en Israël, il a voulu être le plus orthodoxe des orthodoxes, pour bien montrer qu'il était plus juif que juif. Cette course effrénée à essayer de vouloir être juif a joué un grand rôle dans l'éducation de son fils et dans le fait que, quand il a été violé, le père n'a pas fait ce qu'il fallait pour le protéger. Ca rentre dans des considérations auxquelles on ne s'attend absolument pas. Les livres, comme les films, sur la pédophilie ont une structure bien connue: on poursuit les violeurs, on les dénonce, on cherche ceux qui les ont couverts éventuellement, on les traîne en justice et le film est fini. Alors que là il ne s'agit pas de ça. On n'est pas en tain de courir derrière les violeurs, on rencontre des violés qui surgissent presque d'eux mêmes dans l'intimité de la nuit... Et on examine avec eux un très grand nombre de questions, y compris sur le plaisir, la sexualité, le mariage, c'est assez étourdissant. Les gens qui voient le film en sortent choqués. Les gens qui lisent le livre apprennent un peu ce qu'il y a autour et derrière cette apparence. Comment c'est de vivre là-dedans. Comment le père emmène ses enfants en pélérinage, comment il ferme les rideaux du bus pour qu'ils ne voient pas les filles qui passent alors qu'ils traversent des villes israéliennes normales. Tout un tas de choses. A la fois des détails tout à fait triviaux, comme ce que je raconte-là, et à la fois des grands réflexions philosophiques sur ce que c'est qu'être juif par exemple.


Le grand avantage du livre, c'est qu'il permet de dire tout ce que le film ne dit pas... parce qu'il n'y avait pas la place de tout dire.

Oui. Par exemple, avec Menahem, le personnage principal, on s'est assis ensemble pendant des jours et des jours. Il a raconté tout ce qu'il s'est passé du début à la fin dans l'ordre chronologique, ce que le film ne fait absolument pas, il n'a pas besoin de ça. Même une fois que tu as vu le film, ou pas d'ailleurs, tu vois l'itinéraire de ce personnage. Comment soudain, avec sa voix extraordinaire, comment son père a mis tous ses espoirs dans le fait que la voix d’or de son fils allait le faire enfin accepter par la communauté. Parce que, malgré tout ses efforts évidemment, les juifs “vrais de vrais”, ont continué à le considérer comme un pas tout à fait juif, comme un juif à moitié. Et du coup, on se dit, être juif c'est quoi? Le sang? La foi ? On s'aventure vraiment dans d’autres zones. Dans le livre, j'ai essayé d'aller le plus loin possible... A la fin, certains me disent mais vous trouvez qu'on est peut-être un peu dégoûtants d'être aussi dogmatiques, aussi fermés, mais si on n'avait pas été comme ça, vous ne seriez pas juifs, parce que ça n'aurait jamais duré. Sans cette saturation que nous représentons, il n'y aurait plus de parfum.


C'est effrayant...


Ce qui est bizarre, aussi, c'est que ça a l'air terrible, très noir et tout, mais le livre, comme le film, a suivi une espèce de rétablissement, de renaissance. Parce qu'en marchant avec eux, ils ont trouvé, ils se sont découverts les uns les autres, ils se sont mis à se parler alors qu'ils ne se parlaient pas avant. Et du coup, soudain, le crime dont ils étaient victimes est devenu avouable et ils se sont sentis mieux. On a découvert, dans le livre, comme dans le film, qu'ils étaient obsédés par le “gal gal”, c'est à dire le cercle vicieux, qui fait que les violés peuvent devenir violeur. Le violé qui a cette expérience dans sa vie se rend compte que son violeur n'a pas été puni, qu’il ne lui est rien arrivé et que lui, la victime, ne peut pas en parler. Il peut devenir violeur à son tour même s'il ne le veut pas. Menahem, par exemple, crie, parle sans cesse, justement pour essayer d'éloigner ce cauchemar. Ce risque. Mais du coup, le film et le livre deviennent lumineux. Ils vont vers la lumière, ils ne vont pas pas juste le constat d'un monde sombre. Ils libèrent.


Yolande en avait très très bien parlé. Comment va Menahem?


Il est en Israël. Il veut voir le film avec Yolande, même si ça n'est pas tout de suite. Il est perturbé par le fait que le film sorte à Paris. C'est un peu dur pour lui. On l'a au téléphone plusieurs fois par jour... On est devenus très proches, on va se revoir très vite.


Propos recueillis par #PG9








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